pis paul : saut dans le temps… X

pis paul : saut dans le temps… X

J’AI BEAU GDANOV, JE N’EN MÈNE PAS BIEN LARGE !

En 2007, notre journaliste la plus extra-terrienne donnait rdv à Igor et Grichka Bogdanov dans une galaxie lointaine, et nous livrait un article totalement allumé. On n’a pas résisté à l’envie de repartager avec vous ce moment d’anthologie…

Les frères Bogdanov, ils sont exactement comme à la télé. Enfin non, pas tout à fait… ils n’ont pas de combinaisons en aluminium et n’évoluent pas sur une plate-forme devant un grand écran diffusant en continu un proton géant. Mais on devine tout ça derrière leur dos, quelque part dans une dimension annexe. Et on devine aussi qu’une fois l’interview terminée, il y a de fortes chances pour qu’ils se dissolvent.

Je vais d’emblée répondre à la question que tout le monde se pose : Igor et Grichka se sont-ils fait refaire le menton, entre autres ? Comme ça, a priori, je dirais oui. Parce que quand ils sourient, et ils sourient beaucoup, on dirait qu’ils vont se déchirer. Mais franchement, vous oseriez, vous, regarder quelqu’un sous le menton et lui demander si c’est bien normal, cette grosse protubérance ? Moi, je n’ai pas osé. Parce que je suis bien élevée, et que je soupçonne les Bogdanov de maîtriser des forces inconnues ; je n’ai pas envie de me retrouver assise sur un astéroïde au sud de Betelgeuse, à contempler un coucher de Pluton. Donc, pour les mentons, personne ne sait très bien, et tout le monde y va de son petit couplet ; et franchement, vu qu’ils sont nés dans la quatrième dimension, tout est possible. C’est amusant comme tout de passer un moment avec les frères Bogdanov. D’une part parce qu’ils sont charmants, d’autre part parce que c’est instructif, pour peu qu’on comprenne quelque chose à leur discours. Il arrive un moment où, forcément, on perd le fil. La solution ultime, c’est de mettre en route le dictaphone (qui les a bien fait rire parce que c’est un dictaphone à cassette, et qu’eux sont déjà passés à la fission du reblochon en milieu clos) et le pilote automatique. Dont acte.

Actives : Igor et Grichka, qui êtes vous ? (parce que quand même, on peut se poser la question)

Igor et Grichka : Nous nous définissons comme des voyageurs de vies multiples (ça commence bien) ; nous sommes nés jumeaux (Igor a 40 minutes d’avance sur Grichka, ce doit être la raison pour laquelle il parle beaucoup plus que son frère. Il est déjà dans une dimension plus loin), et c’est à la faveur de cette expérience, qui remonte avant même notre naissance, que nous avons été habitués à l’idée que les vies pouvaient être plurielles, à travers ce double qui est à la fois l’extension de soi, tout en étant une affirmation différente. Nous avons toujours su, dès l’enfance, que nous étions différents. Comme Michelet l’a dit un jour : “je suis un homme complet, je suis à la fois un littéraire et un mathématicien”. C’est ce qui nous caractérise. Nous sommes à la fois passionnés de sémiologie, de philosophie et de science. (Si vous n’avez pas tout à fait compris la réponse, je tiens à votre disposition l’enregistrement de ce moment d’anthologie). Si tu tournes une page d’«Actives», tu déclenches une giboulée d’hydrogène sur Mercure (aphorisme Bogdanov).

©Léman des Auteurs

Pensez-vous que tout soit lié ?

Oui, absolument. Il ne faut pas regarder l’univers sous sa forme locale, il faut lui appliquer une théorie globale. Et tout est en interaction à l’intérieur de cette théorie globale. Quand je soulève cette feuille de papier, je mets en jeu des forces qui s’étendent à l’univers tout entier. (Vous vous rendez compte ? Les frères Bogdanov sont en train de m’expliquer que lorsque je vide mes poubelles, je déclenche peut-être un chaos sur Jupiter. Je me sens soudain investie de pouvoirs supérieurs, et je n’hésite pas à puiser dans mes références de base).

C’est ce qu’on appelle la théorie du chaos ?

Non. Cela s’appelle la théorie topologique des champs (ah bon). Il faut comprendre que la science n’est jamais une interprétation « sèche » du monde, elle conduit aussi à des interrogations philosophiques. A savoir que l’univers n’est pas qu’une vaste machine, mais aussi une vaste pensée (il est bien certain que dorénavant, j’y réfléchirai à deux fois avant de soulever un coton-tige, je m’en voudrais que cette action soit responsable d’un génocide aux confins de la galaxie). Nous avons découvert qu’à l’origine de l’univers, il n’y a pas qu’un simple enchaînement hasardeux de phénomènes qui nous conduit à ce que nous voyons aujourd’hui, mais qu’il y a aussi comme une sorte d’information primordiale. Il y a quelque chose d’immatériel qui guide le développement de l’univers (mode pilotage automatique enclenché). Nous ne cédons pas à la complexité de certaines théories comme la «théorie des cordes», qui admettent entre 13 et 26 dimensions supplémentaires (je me demande à quoi peut bien ressembler la 18e dimension. Posez-vous la question, considérez ça comme un jeu. Vous allez voir, c’est rigolo comme tout). Pour nous, nous sommes simplement à 4 dimensions jusqu’à l’instant initial (c’est d’ailleurs à ce moment que retentit, quelque part dans mon cerveau, la musique de « la 4e dimension ». Je m’attends à voir apparaître David Vincent à tout moment. S’il pouvait en profiter pour m’apporter un café sans pour autant faire exploser une planète, ce serait l’idéal).

Ô temps, suspends ton vol de Bogdanov (Victor Hugo)

A cet instant, Igor Bogdanov entreprend de m’expliquer le fameux E=MC2 de Einstein, ce qu’est le «mur de Planck» (j’aimerais autant me planquer derrière le mur, ce pourrait être une contrepèterie hilarante si l’instant n’était pas si grave), et ce qu’est le « temps imaginaire ». Et je découvre soudain qu’effectivement, nous sommes tous des voyageurs de vies multiples. Parce qu’en ce moment même, j’écoute Igor Bogdanov attentivement, tout en dressant mentalement la liste de mes courses. J’en suis au rayon fruits et légumes lorsque Igor finit sa démonstration sur cette phrase : “Donc, nous avons du temps imaginaire à l’échelle zéro, puis un mélange temps imaginaire/temps réel qui est la longueur de Planck, puis l’univers démarre sous la forme que nous connaissons, et nous avons de la matière et du temps réel. Voyez, notre modèle est donc facile à comprendre”.

En effet, expliqué comme ça, tout devient limpide. Et je dois dire qu’arrivée à ce stade de l’interview, je ne songe plus à leur menton, je suis convaincue que ce phénomène procède lui aussi d’une écriture cosmologique. Je dois avoir l’air un peu hébété, les yeux vides et la bouche entrouverte, car Igor poursuit comme dans « Rayons X » : “L’univers est un enchaînement ordonné qui ne doit rien au hasard ; il y a un code de base. C’est cette information primordiale qui ordonne tout, l’univers tel que nous le voyons aujourd’hui ne pouvait pas être autrement. Il a été écrit (là, j’ai un peu l’impression qu’il s’envole. Je me garde donc bien de l’interrompre, rares sont les témoins d’un envol de Bogdanov au printemps). Aucun physicien ne peut faire l’économie d’une cause première. Il est impossible que l’univers se soit auto engendré. Certains appellent cette cause extérieure Dieu, d’autres l’Esprit. Nous pensons la même chose. Cet enchaînement causal, magnifiquement ordonné, ne peut être le fruit du hasard. Derrière ce phénomène, il y a une intention, un programme.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme en Bogdanov (proverbe jupitérien)

Bigre. Il est 11h du matin, nous sommes à Evian, et je viens de découvrir que Dieu existe et que je peux faire fondre une galaxie en croquant une biscotte. Je ne serai plus jamais la même. Les frères Bogdanov enfoncent le clou dans ma pauvre petite tête de terrienne : ils m’expliquent que l’énergie du réel va se dissoudre, et que lorsque le dernier atome aura disparu, le temps réel va cesser, et nous allons revenir à une information primordiale sans espace. Encore heureux qu’ils ne prennent pas une voixà la Orson Welles, j’aurais une attaque cardiaque. En termes clairs, un jour, pouf, nous allons disparaître. Et avec nous des milliards d’autres consciences qui pensent et réfléchissent ailleurs. Vous n’imaginiez quand même pas que l’aventure de la conscience était un petit événement unique sur une planète située à 30 000 années lumières de notre galaxie ?
Non, nous ne sommes pas seuls, ce sont les frères Bogdanov qui me l’ont dit. Songez-y lorsque vous passez l’aspirateur.

pIS pAUL, bEST OF

pIS pAUL, bEST OF

STARS AU COMPTOIR

GRANDS NOMS DU CINEMA, DE LA CHANSON, DU SPORT, DE LA BD OU DES TABLES DE CUISSON… EN 30 ANS, ILS ONT ETE NOMBREUX A DEFILER DANS LES PAGES D’ACTIVMAG. NOUS AVONS EU ENVIE DE LES RASSEMBLER UNE DERNIERE FOIS, AUTOUR D’UN PETIT VERRE DE GENEPI, POUR UNE DISCUSSION A BATONS ROMPUS SUR LEURS ENVIES, L’AMOUR… LA VIE !

N.B : INTERVIEW FICTIVE, MÊME SI LES RÉPONSES DE NOS INVITÉS SONT TOUTES AUTHENTIQUES ET PARUES DANS ACTIVMAG…

Activmag : Quand vous étiez petits, quel métier rêviez-vous de faire ?

André Manoukian : Je voulais être pompier ou chef d’orchestre.
Franck Piccard : Pilote d’hélicoptère !
Nathalie Jomard : Menuisier-vétérinaire-dessinatrice-dompteuse de crotte de nez.
Michèle Laroque : Être ethnologue m’aurait plu, car j’aime observer, essayer de comprendre, parler de l’être humain. Ou bien sociologue…
Louise Bourgoin : Ah ! J’aurais voulu faire tous les métiers, mais une seule journée ! Tout essayer. Finalement, actrice, c’est parfait. Par rapport à une autre profession, c’est enrichissant, ça rend plus attentif et sans doute plus empathique. On a pourtant plutôt tendance à penser que les acteurs sont un peu auto-centrés, avec un égo démesuré…
Jacques Weber : Certains peut-être, mais pas moi. Je dirais même qu’être acteur est le contraire de la vanité. Un grand comédien est un philosophe, qui s’imprègne des rôles qu’on lui donne, bien loin des paillettes du paraître. J’aimerais être atteint de porosité, absorber complètement mes personnages. Je vois plutôt l’acteur comme le gardien d’un rêve éveillé.
Juan Arbelaez : [Moi] j’aurais pu être comédien… J’aurais adoré changer de masques, vivre un éventail d’émotions, jouer une multitude de rôles.
Antoine de Caunes, s’emportant : [Mais] on passe notre vie à jouer des rôles ! Vous-même quand vous êtes en train de poser ces questions, vous avez préparé votre truc, ce n’est pas le vrai vous qui parle, c’est une journaliste qui pose des questions à quelqu’un qu’elle interviewe, et peut-être que si on était tous les deux en tête-à-tête, vous l’aborderiez tout à fait autrement. Donc, on est toujours soit derrière une posture, soit un masque, soit un rôle… La difficulté de l’exercice, c’est de réussir à relier tous ces rôles, à trouver une logique et une intégrité là-dedans.

© L. Beylot / © Photo12-Jacky Godard / © Jemal Countess – Getty Images / © JB Autissier – Panoramic / © Stephane Cardinale – Corbis/Corbis via Getty I mages / © Yves Bottalico – Contour by Getty Images / © Philippe Pierangeli / © Hannah Assouline – Editions de l’Observatoire / © Philippe Le Rouxl – France Télévisions / © Michel C. Maier

Assumer notre côté Dr Jekyll et M. Hyde, notre complexité, c’est ça ?

Jean Dujardin : Parfois on a une image qui nous colle ou qui nous précède, alors que ce n’est pas véritablement nous. On nous imagine tout le temps en train de faire le con, de rire… Mais non. J’ai des moments où je suis inquiet, où je suis sombre, où j’ai pas envie de parler, où je suis souriant par politesse, mais pas plus…
Jeanne Added : On n’est pas unidimensionnel, dans une même journée, on peut avoir une énergie de folle, s’effondrer, puis revenir. Pourquoi je ne choisirais qu’une facette de ce que je vis au jour le jour ?
Dee-dee Bridgewater : En ce qui me concerne, je ne laisse rien au hasard, car je suis ma productrice et je gère toutes les facettes de mon image.

En parlant de facettes… Mesdames, on vous propose de tester la peau d’un homme, en qui aimeriez-vous vous réincarner pour quelques heures ?

Christine Arron : Waouh… Un homme ? Pas en homme politique, ça c’est sûr. Ils aiment trop le pouvoir, trop d’ego. Non, plutôt dans la peau d’un sage.
Nathalie Jomard : Bruce Springsteen en plein concert !
Clotilde Coureau : Je serais un homme en colère. En colère contre ce monde qui ne tourne pas rond. On va droit dans le mur et il y a tant à faire. On s’arrête aux différences, alors qu’avec un peu de dialogue, d’intelligence, on se simplifierait tellement la vie.
Louise Bourgoin : J’en profiterais pour avoir une aventure physique avec une femme… comme tout le monde dans ce cas-là, je suppose !

© R. Dumas / © Christophe Brachet-Mon Voisin Productions / © Daniel Angeli

Et vous Messieurs, si vous étiez une femme ?

Jean Bertolino : J’ai souvent été femme… Dans mes romans. J’ai déjà été maquerelle, indienne, guérillera…
Edgar Grospiron : Probablement une fille des îles, une Vahiné, proche de l’océan, des vagues… Pour moi, le surf, c’est un sport très féminin… Une chose est sûre, je ne serais pas catcheuse !!!
Yann Barthès : [Moi], j’adorerais courir avec des talons hauts !
Louis Bertignac : J’aimerais être plutôt petite, souriante, jolie, avec de jolis seins… et avoir 17 ans ! Je serais une vraie garce avec les hommes (rires) ! C’est délicat d’être une jolie fille avec les hommes. Je pense que si je l’étais, j’aurais envie qu’ils tombent tous amoureux de moi, mais je serais dans la merde une fois qu’ils le seraient tous ! Parce que je serais considérée comme une allumeuse et comme une marchandise. (…) Moi, les gens me voient à peu près comme je suis, ils ne cherchent pas à me mettre le grappin dessus. Alors qu’une jolie fille, si elle plaît, on veut la posséder…
Frédéric Beigbeder : Pour tout vous dire, je me suis déjà habillé en fille et physiquement, je ressemble à un mélange de Valérie Lemercier et Inès de la Fressange, deux copines. En fait, en femme, je ne suis pas terrible ! Sans être désobligeant à l’égard de Valérie et d’Inès. Un peu trop dégingandé. Mais du coup, je pense que je serais obligé de développer beaucoup d’humour et d’esprit pour devenir « intéressante ». C’est d’ailleurs toute l’histoire de ma jeunesse !
Arno : Moi, je suis lesbienne ! En tous cas, sans les femmes, on n’en serait pas là. Les mecs, ils pensent qu’ils savent tout, mais en fait, ce sont les femmes qui comprennent tout !
Patrick Juvet, répondant à Arno en aparté : [Moi], je n’ai jamais caché ma bisexualité. Je dis toujours la vérité, je suis naïf et pas menteur. (…) Mes parents l’ont appris par la presse, j’avais été franc avec un journaliste – qui, soit dit en passant, n’était pas mal du tout ! – Et vraiment, j’aime les hommes et les femmes ! En fait, j’aime tout ce qui est beau !
Victoria Abril, saisissant l’occasion : Attends, le sexe nous est donné à tous, pauvres ou riches, et en plus gratos ! On ne va pas s’en passer, non ? C’est la chose la plus démocratique !
Philippe Conticini acquiesce : Laisser libre court à ses envies et ses émotions est peut-être le meilleur moyen de rester libre…

© Tortade /© DR / © M6 – Pascalito

Pâtisserie et philosophie, vous tenez peut-être là un concept, Mr Conticini ! Mais revenons à nos moutons : hommes-femmes, quelqu’un a le mode d’emploi ?

Au bout du bar, Claude Lelouch lève la main : Oui, je pense que la liberté est la seule chose qui puisse permettre à un couple de durer. Pour moi, vivre à deux, c’est vivre dans la liberté et pas dans la contrainte, c’est comme vivre en célibataire, mais à deux ! Il ne faut rien interdire, ne jamais demander à quelqu’un d’être fidèle, même si, quand on aime, on a envie de l’être. Tromper n’est pas tricher. L’adultère renforce un couple, je crois beaucoup à l’infidélité pour qu’un couple vive. Aimer l’autre, c’est le laisser libre. Il faut avoir envie du bonheur de l’autre, même si parfois le prix à payer est élevé. C’est le meilleur moyen pour que les gens s’aiment longtemps.

C’est un point de vue… Donc, on peut faire rimer amour avec toujours ?

Michèle Laroque : Oui, bien sûr ! Un vrai amour inconditionnel, oui. Je crois qu’il y a un gros malentendu sur l’amour. Les gens confondent l’amour avec amoureux, miroir de ce qu’ils sont ou égo. Quand on a compris que l’amour se trouve dans le détachement, le vrai respect, l’admiration… alors, il peut rimer avec toujours.

Et qu’est-ce qui tue l’amour, alors ?

Mathilda May : Je dirais le manque de confiance, le non-respect de l’autre,l’idée de ne faire qu’un, la non-écoute, la rivalité et peut-être aussi la peur…
Arthur H : L’habitude, c’est agréable, mais en même temps, c’est la mort… J’aimerais ne pas m’habituer déjà au fait d’être vivant, d’être là, plongé dans le feu de la vie et puis surtout à ma compagne (…) Je voudrais prendre l’habitude et lui tordre le cou jusqu’à tant qu’elle expire, après, la jeter dehors !
Michèle Laroque approuve : Si on s’habitue, dans le sens où on trouve tout normal alors l’habitude est un tue-l’amour. Personnellement, je pense que respirer n’est pas normal, avoir ses quatre membres n’est pas normal. Quand j’ai eu mon grave accident de voiture, je rêvais de marcher (…). A partir du moment où on se rend compte que l’on est avec quelqu’un que l’on aime, qui nous aime et qu’on ne s’habitue pas, alors le quotidien est merveilleux.

Ne pas s’habituer… Ce serait ça, la plus belle preuve d’amour à vos yeux ?

Amélie Nothomb : [Et] accepter l’autre tel qu’il est. Avoir de la délicatesse envers lui et cette façon d’être que j’appelle « le sens de l’autre ». Il faut savoir l’écouter et le laisser s’exprimer même si les idées, les opinions divergent.
Florian Zeller : Je dirais que c’est d’avoir le courage de se projeter dans le temps avec l’autre. Savoir se battre, lutter, s’obstiner, savoir doser les choses qui ne sont pas graves pour pouvoir croire que le moment X est pour toujours.
Mathilda May : [Et faire] des enfants ! Quand on voit la responsabilité que ça engage, si on n’avait pas une part d’inconscience magique lorsque l’on décide de les avoir, je crois que l’on n’en aurait jamais. Faire face et assumer est tellement important que je crois que c’est vraiment un acte fou.

© Les film 13 / © Nathaniel Goldberg / © Cerasoli

Quasiment héroïque, n’ayons pas peur des mots ! Tiens d’ailleurs, si vous étiez un héros, qui seriez-vous ?

Tina Kieffer, les joues rosies par la liqueur : Mimi Cracra !
Margaux Motin : Neytiri, dans Avatar. Volant à dos de dragon, communiquant avec la nature, courageuse, sage, aventurière, amoureuse, drôle…
Olivier Giroud : Mon héros, c’est Jésus Christ.
Alain Souchon, inspectant le fond de son verre : Jésus… Je ne comprends rien à Jésus. C’est une intrigue, tout est extraordinaire. Est-ce que tout est faux, c’est possible… Est-ce que c’est une allégorie ? En même temps, c’est magnifique.
André Manoukian : [Moi], je serais Ulysse. C’est un mec qui met 10 ans avant de rentrer chez sa femme, mais qui finit par rentrer quand même.
Antoine de Caunes : J’aime pas les super-héros, ils me fatiguent un peu avec leurs moule-burnes et leurs super-pouvoirs.
Thomas Fersen, l’oeil facétieux et le sourire en coin : L’anti-héros est plus amusant. Nous sommes tous des anti-héros en France en ce moment, je trouve… (…) Et puis, je ne crois pas aux héros, les vrais héros sont simples, un peu benêts, un peu stupides, alors que l’Homme est raffiné, complexe… C’est la complexité qui est une preuve d’intelligence, alors pour moi l’anti-héros est supérieur.
Claude Lelouch : J’aime bien les cons aussi, ils sont plus marrants que les mecs intelligents ! Quand je tourne un film comme « L’aventure, c’est l’aventure ! », je rends hommage à la connerie. Les mecs intelligents, c’est fatigant !
Stéphane de Groodt, le sourcil relevé de nuance : On ne peut pas être foncièrement drôle sans être intelligent et inversement…

Ça c’est envoyé !

Alain Souchon, rebondissant : Vous savez, moi, ce que j’aurais aimé, c’est faire rire beaucoup. (…) Quand Thierry Lhermitte apparaît, les hommes sourient, les femmes sourient, tout le monde est content de le voir. Edouard Baer, c’est pareil, il me fait rire à gorge déployée, c’est extraordinaire ! Et Jean-Jacques Goldman… Il a pas l’air, mais il ne place pas une phrase sans qu’il y ait une connerie dedans, pour faire rigoler tout le monde. Il est très fin. Adjani aussi, elle est brillantissime de drôlerie, elle est vive, du tac-au-tac. J’admire ces gens-là, beaucoup beaucoup. Eux et les gens d’église…

©Thomas Bianchin – Icon Sport via Getty Images / © Christophe Chevalin – TF1 /© Studio 404 / © Julien Mignot / © Mathieu Khalaf

Les gens d’église ?… Et les sportifs ? Non ?

Alain Souchon : Il y a les sports d’équipe, qui sont vachement bien, que tout le monde aime, le foot, le hand, mais je m’en fous un peu…
Aimé Jacquet : Le sport aplatit tout, les crises, les tensions, il annihile tout, pas forcément dans la durée, mais au moins un moment. Je crois que tout le monde sait où il se trouvait le 12 juillet 98. Ce fut un incroyable moment de partage.

C’est vrai ! D’ailleurs, en parlant de 1998, Youssou’N Dour, nous vous avions rencontré juste avant la Coupe du Monde, au mois de juin, vous vous rappelez ce que vous nous aviez dit ?

Youssou’N Dour : « La finale se jouera, je pense, autour du Brésil et de la France. Ce sont deux équipes qui ont beaucoup d’individualités et qui seront bien soutenues ».

Vous auriez dû monnayer vos talents de pronostiqueur ! Et « soutenus », pour les Bleus, c’était peu de le dire…

Didier Deschamps : Ça a été fou aussi parce que c’était en France, parce que c’était une première. Ce sport étant le plus populaire, on a connu un déferlement partout dans le pays, une communion de toute la population sans précédent.
Bixente Lizarazu : [Nous] on était tellement coupés des médias, du monde extérieur, à Clairefontaine, que je n’ai réalisé l’ampleur du phénomène qu’en regardant mon père : quand on est monté pour soulever la coupe, je suis passé devant lui et je l’ai vu en larmes… C’était la première fois que je le voyais pleurer donc je me suis dit : là, il se passe un truc ! J’étais encore dans ma bulle de concentration extrême pour réaliser. Il a fallu 2 ou 3 jours pour que j’atterrisse et surtout que je savoure !

Et ça représente quoi une étoile sur un maillot, ou un trophée mondial, une médaille autour du cou… ?

Aimé Jacquet : Une vie bien remplie, des rencontres incroyables, des personnes de qualité qui m’ont beaucoup appris et autour desquelles j’ai construit ma vie. C’est tout ça, une étoile sur un maillot…
Edgar Grospiron : Quand du jour au lendemain, vous faites la une des journaux, le regard des autres change, même si moi, je pense être toujours resté assez humble et cool face à cette soudaine médiatisation. Elle a néanmoins introduit des relations assez superficielles et parfois même tendues (…). Chacun se mesure à l’autre, histoire de vérifier qui est le plus populaire, le plus adulé du public.
Jean Dujardin, empathique : La notoriété peut faire péter les plombs à des gens… Moi, au contraire, je trouve que ça m’améliore, parce que ça me donne de la confiance, et la confiance me fait faire des choses que je n’aurais peut-être pas pu faire sinon.
Stéphane Diagana, champion du monde du 400m haies et de la prise de recul : [Surtout que] vu de Mars et dans 10 ans, ce truc sur lequel tu te focalises, il ne ressemblera à rien…

© Place des clichés / © Marianne Rosenstiehl /© Radio France – Christophe Abramowitz

Forcément, avec le temps et la distance, on relativise, les victoires comme les crises…

Arthur H, en sursaut : J’aime la crise aussi ! Dans la crise, il y a quelque chose de vrai. Quand on est calme, c’est parfois trompeur, on peut simplement être fainéant avec soi-même.
Jane Birkin, réveillée elle aussi : Oui ! Sinon, comme disait Serge, ça serait « banal bleu ». Parfois c’est plus intéressant le ciel quand il y a des nuages… Et aussi, je crois beaucoup dans les accidents, mais ça, c’est parce que je suis très optimiste !

Les accidents, c’est-à-dire ?

Jane Birkin : Par exemple, quand on rate l’avion ou le train, ça a l’air épouvantable et je suis la première à pleurer, mais après, je me dis : Ah ! Peut-être qu’on va vivre une aventure…
Alexander Astier, dans un sourire de vieux sage : Marco Polo a dit : « On ne va jamais aussi loin que quand on ne sait pas où on va. »
Stéphane de Groodt : [Moi] j’aime provoquer le hasard, mais je n’aime pas qu’il me provoque. Je n’aime pas être soumis à lui, comme dans un casino. Ne plus être maître de mon destin, c’est perdre ma liberté…
Margaux Motin, tout à fait d’accord : J’ai aussi un côté Monica Geller très prononcé, dans l’organisation, le contrôle, le rangement. Les choses sont pensées, prévues, gérées, « statégifiées » de façon à ce qu’il n’y ait pas de galère. Le cadre et après on s’éclate !

« De la contrainte nait la liberté », ou « porté par le vent », voilà deux approches de la vie bien différentes… Comme quoi, finalement, il n’y a pas qu’un seul chemin, tout est possible…

Michel Cymes, qui dirait même plus : Il  y a un adage qui dit : “rien n’est impossible, même l’invraisemblable”. Je ne me dis jamais : “arrête de rêver”!
Patrice Leconte : A partir du moment où on se dit qu’aucun rêve n’est impossible, il ne suffit peut-être pas d’y croire, mais y croire, c’est déjà pas mal. Parce que – et je vais enfoncer une porte ouverte, pardon – si on part perdant, on n’a aucune chance d’arriver gagnant, donc il faut toujours y croire. Même dans les situations les plus désespérées ou les plus incertaines.
Franck Piccard, prudent : [Mais] les rêves, plus on en parle, et moins ils se réalisent. C’est comme un ballon de baudruche, en parler, c’est mettre des petits coups d’aiguilles dedans.
Nathalie Jomard, fort à propos : [Moi, je rêve] souvent à la mémé de mon hamster en slip de bain, à une convention d’adorateurs de pots de chambre en céramique… Les pots de chambres, pas les adorateurs…

En voilà un, de rêve, qui ne devrait donc pas se réaliser si on suit votre logique, Franck… Et c’est peut-être aussi bien ! Parfois, la vie réelle n’est pas si mal…

Jean-Louis Borloo : Vous connaissez cette vieille phrase : “on commence à aimer la vie quand on prend conscience qu’on n’en a qu’une.” Profondément, c’est ce que je ressens. Quand je me lève le matin, je veux que mes journées soient belles. Et elles le sont. En s’intéressant à des sujets généraux, en donnant des coups de main individuels, en donnant un peu de soi. Voilà, c’est pas glorieux, c’est être heureux.

On pourrait terminer là-dessus, M. Borloo, et sur une tournée générale !… A moins que quelqu’un ait une idée pour le mot de la fin ?

Jean Bertolino : Mektub, ce qui signifie en arabe « c’est la vie ». Je pense que notre destinée est écrite sur le grand livre de la vie. L’existence que nous menons correspond à ce que nous sommes vraiment. Et lorsque certains se désolent d’avoir une vie grise, c’est qu’au fond d’eux, ils sont gris, alors que ceux qui ont une vie exaltante le sont à l’intérieur.

ANDRÉ DUSSOLLIER

ANDRÉ DUSSOLLIER

D’ANDRÉ DE JEU

Il y a des visages tellement familiers qu’on a l’impression de les avoir déjà croisés… Et c’est vrai, sauf qu’un écran nous séparait. André Dussollier est de ces acteurs qui font quasiment partie de la famille, qu’on imagine facilement à la table du dimanche midi. D’autant qu’il est d’ici !

Du stewart impeccable, mais noceur, dont la coloc’ est chamboulée par l’arrivée d’un bébé (Trois Hommes et un Couffin), au mari complice d’une détective fouineuse et loufoque (Mon Petit Doigt m’a dit), en passant par l’agent immobilier transi, mais éconduit qui entonne Gilbert Bécaud ou Alain Bashung (On connaît la Chanson), André Dussollier promène son élégance discrète, son sourcil circonflexe et sa voix de conteur sur les plateaux de théâtre et de cinéma depuis cinq décennies. François Truffaut, qui lui offrit son premier grand rôle (Une Belle Fille comme Toi), disait de lui qu’il était « le seul acteur qui répétait les scènes, même après les avoir jouées ». Perfectionniste donc, exigeant évidemment, mais toujours parfaitement juste, il déploie sa palette de jeu du film d’auteur au thriller, de la comédie à la biographie, et prend toujours autant de plaisir à incarner des vies différentes. Et la pandémie n’a pas freiné son appétit ! En cette fin 2021, il accompagne la sortie de trois films : «Boîte Noire» avec Pierre Niney, «Attention à la marche» avec Jérôme Commandeur et «Tout s’est bien passé», de François Ozon avec Sophie Marceau et Géraldine Pailhas. C’est lors de la projection de ce dernier à Annecy, que nous l’avons rencontré : de titre de film en titre de film, il nous raconte «Toute une Vie» (1974).

2014 – Novecento, Célestins Théâtre de Lyon © Christian GANET

Activmag : Cet automne, vous avez trois films qui sont sortis coup sur coup, parce qu’ils avaient été retardés à cause du Covid. Comment avez-vous vécu la pandémie, comme une «Cellule de Crise» (2021) ?
André Dussollier : Non, pas trop mal finalement. J’ai compté, j’ai réussi à tourner sept films depuis qu’a commencé le Covid. Donc, les films continuaient à se faire, la différence, c’est que leur existence est très courte maintenant : il y en a beaucoup qui sortent, mais il y a une concurrence tellement énorme qu’ils ne restent pas longtemps à l’écran, ils n’ont pas le temps d’exister, de trouver leur public. Ça pose pas mal de questions sur l’avenir du cinéma… Les films d’auteurs, qui étaient toujours prisés et intéressants en France, parce qu’ils pouvaient donner lieu à des choses inattendues, ont du mal à faire leur place.

Quels sont «les Petits Bonheurs» (1994) qui vous ont fait tenir pendant cette période ?
Déjà, c’était un grand bonheur de pouvoir travailler. Ce n’était pas donné à tout le monde… Mais nous, on n’a pas arrêté de tourner, on a été très surveillés, des médecins nous prenaient la température tous les jours, faisaient des contrôles fréquents… Et les petits bonheurs, c’était de voir mes enfants, de passer des moments avec eux.

Est-ce qu’il y a des petits bonheurs que vous tenez de votre enfance ? Pouvez-vous nous livrer «Trois souvenirs de ma Jeunesse» (2015) ? Enfin… de la vôtre ?
C’est bien de prendre tous les titres comme ça, parce qu’avec le cinéma, j’ai l’impression d’avoir des vies supplémentaires ! Trois souvenirs de ma jeunesse ? Fatalement, il y en a qui sont liés à Cruseilles, le petit village où j’ai vécu pendant 14 ans, où il y avait 1000 habitants, et où j’ai des souvenirs de jeunesse importants, à la fois le sport, la nature, la montagne… Le foot aussi était très important pour moi, parce qu’outre le plaisir de pratiquer, c’était la possibilité de se réunir. Dans un village, il y a des gens qui appartiennent à des milieux très différents, des fils de paysans, d’épiciers, de fonctionnaires, dont j’étais… Le foot nous permettait de nous rassembler le dimanche, on avait l’impression de faire une Coupe d’Europe à chaque fois, même si on se déplaçait dans le village à 3 km ! Le 3e souvenir important, capital pour moi, c’est quand j’avais 10-11 ans, en 6e au collège de St Julien-en-Genevois, et que j’ai découvert le théâtre grâce à une professeure qui nous a emmenés voir une pièce, elle en montait aussi. Ça a été un vrai déclic, l’ouverture sur un monde très riche, très intense, très vivant. J’ai ensuite continué le théâtre parallèlement à mes études.

Quand on parle de ces premières années, de «l’Enfance de l’Art» (1988), on pense souvent à quelque chose de léger, mais au début, vos choix n’ont pas été faciles à imposer…
Ici, à Annecy, c’était inimaginable, pas seulement pour la famille, mais aussi pour l’entourage, de se dire : “je tente l’aventure”. Mais j’ai fait des études, les diplômes comptaient beaucoup dans les années 70, ça rassurait… On m’a ensuite proposé un poste d’assistant de philologie à la fac d’Oran en Algérie, et j’ai dit : “non, je suis incapable d’enseigner” et là, je suis allé à Paris faire du théâtre. C’était un grand saut, mais je n’avais rien à perdre ! C’était le moment, à 23 ans, où on a envie de donner toute son énergie et si ça ne marche pas, ça ne marche pas, j’ai les diplômes, je ferai autre chose. J’avais l’impression de m’accorder enfin la possibilité de vivre ma vie, de faire ce que j’aimais le plus. Ce n’était pas facile, mais l’obstacle ne m’a pas freiné. Je me suis engouffré dans cette possibilité-là, cours, conservatoire, Comédie Française, j’y suis allé à fond et j’étais content. Il y a toujours des situations dans la vie où on n’est pas assez courageux, mais du coup, je me dis tout le temps que quand on a envie et qu’on va au bout de ses intentions, de ses rêves, on a une chance d’y accéder ou d’avancer.

C’est un «Chemin Solitaire» (1990), cette carrière d’acteur ?
Oui, c’est vrai, telle que je l’ai imaginée, c’est un chemin solitaire. Ça correspond peut-être à mes origines de fils unique, je me suis accommodé de la solitude très vite. C’est aussi excitant, parce que vous ne devez rien à personne, et c’était un peu la manière dont nous, les apprentis acteurs, on «consommait» le métier. Mais c’est un chemin d’autant plus solitaire que c’est totalement imprévisible, on dépend tellement des rôles qu’on nous propose, des films, de leur succès… Tout cela est très aléatoire, c’est les montagnes russes ! Il faut bien s’accrocher à sa passion pour pouvoir tenir le coup face aux aléas professionnels.

Malgré tout, ce sont aussi beaucoup de rencontres. Sur quelles collaborations, vous êtes-vous dit : «Ah, le Beau Mariage» (1982) !
Avec Alain Resnais, je le dis tout de suite, sur « Mélo ». J’avais déjà travaillé avant avec lui, mais Mélo, c’était vraiment l’idéal de ce que j’imaginais dans le rapport avec le metteur en scène, avec une très grande écoute de sa part, la possibilité de jouer toutes les nuances que je désirais exprimer, la séduction, l’émotion… C’était vraiment un très beau rôle, quel que soit le destin du film -il a été apprécié par la critique-, j’avais l’impression de rencontrer quelqu’un avec qui je pouvais faire le métier comme j’en rêvais.

Et avec «les Acteurs» (2000) ou actrices ?
Oui, avec les actrices, Sophie Marceau ou Géraldine Pailhas, Charlotte Rampling, ce sont de belles rencontres… Je parle beaucoup de femmes, là, mais Niels Arestrup aussi… Evidemment, quand on a une belle partition, c’est encore plus excitant ! Sabine Azema, Pierre Arditi, je ne peux pas les oublier, Fanny Ardant… Mais ce qui est beau, c’est qu’à tous les âges, vous pouvez avoir des rôles qui vous correspondent et vous permettent de vous confronter à des jeunes générations, il y a une sorte de brassage, de rencontres multiples, avec des gens de tous les univers, de tous les âges, qui est vraiment enrichissant.

On dit souvent que le cinéma est « Une Affaire de Famille » (2008), votre fils est comédien, est-ce qu’un jour vous tournerez avec lui ?
Ma fille aussi, elle est plutôt dans le théâtre… J’ai tourné avec lui récemment dans un film avec Jérôme Commandeur, qui s’appelle «Attention au Départ». J’étais très étonné la première fois que je l’ai vu, parce qu’il était le dernier, Léo, à manifester l’envie d’être comédien. Il ne voulait pas faire comme son père… Donc il a fait du droit, il a été journaliste sportif et puis tout d’un coup, le voilà comédien ! Il ne m’a rien dit, il a suivi un cours, fait ses démarches tout seul. Je l’ai découvert dans une pièce à Avignon il y a 3 ans, et il était vraiment très bien, j’ai eu l’impression de voir un comédien que je ne connaissais pas. J’espère qu’on tournera ensemble, mais il essaie vraiment de faire son chemin sans avoir à se mettre dans mon sillage… C’est peut-être moi qui vais me mettre dans le sien.

On parle souvent des différentes voies qu’ouvre le cinéma, dans le couffin de «Trois Hommes…» (1985), vous n’avez pas trouvé qu’un bébé, mais aussi une nouvelle voie, la comédie. Est-ce que c’est un registre dans lequel vous êtes plus à l’aise, est-ce que c’est votre terrain de jeux favori ? Oui, vraiment ! Quand j’étais au conservatoire, avec Nathalie Baye, on passait beaucoup de scènes de comédie, et quand je suis sorti, j’ai tourné avec des auteurs comme Truffaut, j’étais sur des rôles plutôt graves. «Trois Hommes et un Couffin», c’était une surprise agréable, qui correspondait à mes rêves de toujours. Je sortais de « l’Amour à Mort » et les producteurs, les distributeurs ne voulaient pas de moi. Mais Coline Serreau connaissait les acteurs, elle savait que c’est selon la partition qu’on est drôle ou pas. J’étais vraiment ravi quand on me l’a proposé, parce que j’adore le dynamisme de la comédie, la légèreté, la surprise.

Et avec «Amélie Poulain» (2001), c’était un peu le fabuleux destin d’une voix, avec un X…
Ça me surprend toujours. Je suis sensible à certaines voix, celles de Jean-Louis Trintignant, Delphine Seyrig, Gérard Philippe… Il y a des voix comme ça qui me reste en mémoire et que j’adore entendre, qui sont si particulières, qui racontent une personnalité. Mais sa propre voix, c’est difficile à définir…

Pour quel rôle avez-vous eu l’impression de sortir «Le grand Jeu» (2015) ?
Probablement quand il y a les plus grands écarts à faire, que ce soit Staline ou ce rôle dans «Tout s’est bien passé». Mais, vous parliez de comédie, j’étais ravi de tourner «Tanguy» avec Etienne Chatilliez, de jouer avec Jean-Pierre Jeunet dans «Mic-Macs à Tire-Larigot», ou dans les comédies de Pascal Thomas avec Catherine Frot. A chaque fois, il y a un endroit où on peut se dire : “tiens, je peux faire de choses que je n’avais pas faites avant, exprimer ce que je n’ai pas encore eu l’occasion d’exprimer”.

Est-ce que cette passion du jeu, c’est «l’Amour à Mort» (1984), ce sera jusqu’au bout ?
Ah oui, ça c’est sûr ! Et si le cinéma doit s’arrêter pour une raison ou pour une autre, le théâtre sera toujours là. Parce qu’on n’a pas besoin de beaucoup de choses, ce sont des textes, de la lumière, une salle, des spectateurs… Le cinéma, c’est plus technique, il y a du matériel, des équipes, de l’argent… Mais au théâtre, la magie peut avoir lieu, ça, ça me rassurera toujours. J’ai connu des metteurs en scène qui pensaient qu’ils allaient mourir avec la télévision, le cinéma tout ça, mais non pas du tout, ça reste toujours une envie pour les spectateurs de voir des acteurs leur raconter une histoire.

Qu’est-ce que vous aimeriez laisser de vous, dans votre «Boîte Noire» (2021) ?
J’aimerais encore faire plein de choses ! J’aimerais bien des rôles surprenants, dans cette boîte noire, des entreprises dans lesquelles je serais partie prenante du début jusqu’à la fin, j’aimerais que la vie dure longtemps…

Et jusqu’à présent «Tout s’est bien passé» (2021) ?
Oui, même si, encore une fois, comme le disait Odette Laure, montée sur la scène des César une année où elle n’en avait pas eu : “le César, ça ressemble bien au métier, c’est doré, mais il y a des creux et des bosses !

FAN DE

Le dernier film qui vous a fait vibrer ? Je pense à ce film allemand, «la Vie des Autres» ou «Fury Road», avec Charlize Théron, que j’ai vu à la télévision récemment, parce que c’est un déploiement d’originalité, de spectaculaire… Je peux passer d’un extrême à l’autre.

L’acteur ou actrice qui vous touche ? Je suis toujours touché par Catherine Deneuve, parce que j’ai tourné avec elle et j’aime bien aller voir ses films.

Le morceau que vous chantez sous la douche ? «Résiste» de France Gall.

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ? Magritte.

Le dernier auteur que vous avez dévoré ? En ce moment, c’est Jean Meckert, «Les Coups» c’est très beau.

Un personnage politique avec lequel vous aimeriez débattre ? Débattre… Ils sont tous plus forts que moi, je ne pourrais pas tenir le coup.

Un personnage historique que vous admirez ? Philippe Semmelweis, un médecin hongrois, qui a découvert le microbe 50 ans avant Pasteur et qui s’est battu jusqu’à la mort pour convaincre ses contemporains de sa découverte.

Un super-héros dont vous auriez aimé avoir les pouvoirs ? James Bond, mais on ne me le proposera jamais…

Photo haut de page : Patrick Swirc

Antoine de caunes

Antoine de caunes

I-CAUNES DU PETIT ÉCRAN

Le débit TGV -ou Eurostar, car l’homme a souvent traversé la Manche- , le sourire en coin et l’humour en guise de paravent, Antoine de Caunes fait partie de ces figures familières qui animent nos écrans depuis des décennies. Des décennies ?! Pas sûr pour autant qu’il ait vieilli…

Il a toujours quelque chose sur le feu. En ce moment, entre deux «Popopop» -rendez-vous radio quotidien consacré à la pop culture sur France Inter-, ce qui l’occupe, c’est un livre, «Perso», paru cet automne, et dans lequel il mélange “souvenirs, impressions, emballements”. Pas des mémoires, parce qu’il ne veut “infliger ça à personne”, mais une série de petites histoires qui lui sont arrivées, à commencer par une attaque de chiens en Grèce, et qui, de marabout en bout de ficelle, dessinent pudiquement les contours de cet enfant de la télé.
Car il en est littéralement un. Fils de deux monstres sacrés de la télévision des années 60, Jacqueline Joubert et Georges de Caunes, le sang qui coule dans ses veines pulse au rythme des ondes hertziennes. Pas de voie tracée, ni d’injonctions, encore moins de calculs ou d’ambitions, mais de manière naturelle, il finit lui aussi par travailler à la chaîne – à l’époque, il n’y en d’ailleurs que trois. De «Chorus», où il présente, cheveux longs et clope à la main, les vinyles de la semaine, à «Profession», émission dans laquelle il laisse des musiciens, pâtissiers, cavaliers ou danseurs s’exprimer sur leur métier, en passant par ses mythiques duos avec José Garcia dans «Nulle Part Ailleurs», le déjanté franco-britannique «Eurotrash», ou la pittoresque «Gaule d’Antoine», de Caunes balade sa verve et son dandysme sur nos écrans depuis plus de 40 ans… Ses tempes grisonnent, sa barbe discrète aussi, mais son regard reste facétieux et son plaisir évident. Comme un grand enfant -de 67 ans, mais il faut voir sa date de naissance pour le croire-, il s’amuse, il joue… un double-jeu ?

Photo : Radio France / Christophe Abramowitz

Activmag : En préparant cette interview, et parce qu’on aime les jeux de mots, on s’est demandé s’il n’y avait pas en vous “deux Caunes”…
Antoine de Caunes : Je crois que ça se manifeste jusque dans l’illustration qu’a faite Jamie Hewlett sur la couverture du livre, qui est en fait une peinture sur une photo et qui donne déjà ce sentiment d’un masque. C’est moi, mais pas tout à fait moi non plus, il y a quelque chose qui reste un peu caché derrière. Donc oui, schizophrénie dans le meilleur des cas, duplicité dans le pire…

Un côté Dr Jekyll et M. Hyde ?
Tout le temps ! On passe notre vie à jouer des rôles. Vous-même, quand vous êtes en train de me poser ces questions, vous avez préparé votre truc, ce n’est pas le vrai vous qui me parle, c’est une journaliste qui pose des questions à quelqu’un qu’elle interviewe, et peut-être que si on était tous les deux en tête-à-tête, vous l’aborderiez tout à fait autrement, donc on est toujours derrière soit une posture, soit un masque, soit un rôle… La difficulté de l’exercice, c’est de réussir à relier tous ces rôles, à trouver une logique et une intégrité là-dedans.

Comme la thèse du Double-Vous se confirme, nous avons essayé d’imaginer des choses qui pourraient vous tirailler… Commençons par le commencement : quand vous étiez petit, vous vous rêviez plus en Zorro ou en Fantasio ?
Les deux mon Général ! Fantasio parce que c’est Franquin et que je suis un inconditionnel de son travail, aussi bien pour Spirou que le Marsupilami ou Gaston… et Zorro évidemment, parce que c’était ma série préférée, qu’on regardait à l’époque comme Thierry la Fronde. Mais Zorro l’emportait quand même. Vous parlez de masque et de double, Zorro, c’est l’évidence, ce personnage polissé, mondain, urbain et ce redresseur de torts dans l’ombre, j’adore !

Nulle Part Ailleurs – Antoine de Caunes déguisé en Languedepute et Philippe Gildas – Photo Xavier Lahache / CANAL+

En parlant de Zorro, qui porte le mieux la moustache : le Sergent Garcia ou José Garcia ?
Ça dépend du volume, sachant que José Garcia est génétiquement destiné à devenir un Sergent Garcia, et que le combat de sa vie, c’est de faire du sport à outrance pour aller contre ce destin tragique. Mais pour ce qui est de la moustache, ça reste le Sergent quand même, j’ai tellement l’habitude de voir José sans la moustache…

Quelle est sa transformation, qui vous a le plus amusé ou le plus surpris d’ailleurs, durant vos années de duo à Nulle Part Ailleurs ?
Il y en a beaucoup, mais les plus spectaculaires, ça reste Cindy Trop Forte, Claudia Chiffon ou Elizabeth Taylor bourrée, c’était absolument irrésistible… Vous remarquerez, c’est à chaque fois qu’il s’habillait en femme ! Il ne cherchait pas à dissimuler sa masculinité et en même temps, il chopait des trucs féminins, parce que c’est un excellent comédien. Mais surtout, et ça, c’est un scoop pour vous : ça l’a tellement marqué qu’il continue aujourd’hui, mais à titre privé, à s’habiller en femme le soir et à mener une double vie. Je ne révèlerai ça qu’à Activmag.

Nulle Part Ailleurs – José Garcia et Antoine de Caunes déguisés en Sandrine Troforte et Richard Jouire – Photo Xavier Lahache / CANAL+

Vous lui tendez des pièges en permanence, en fait…
Tout le temps, oui.

C’est votre côté Gérard Languedepute… Parmi vos personnages, vous vous sentez plus proche de lui ou de Didier L’Embrouille ?
Didier, c’est un double karmique, il y a quelque chose en moi de Didier que je contrôle, sinon ça m’exposerait à de graves problèmes dans la vie réelle. Mais je l’adore, j’adore son impulsivité, son absence totale de langue de bois, tellement agressif et frontal, mais sans les moyens de sa violence évidemment, puisqu’à chaque fois, il se fait dérouiller… Et Languedepute, je l’adore aussi. Ce qu’il y avait de particulier avec lui, c’est que je ne disais que la vérité, tout ce qui était écrit avait été dit, c’est la raison pour laquelle ça provoquait un tel malaise sur le plateau avec les invités, et Gildas aussi, qui savait très bien. J’avais un plaisir absolument pervers à torturer ces malheureux. J’en vois tellement des Languedepute aujourd’hui, des gens qui viennent dire, mais sans le dire, tout en le disant quand même…

Parmi toutes les pastilles de Canal, lesquelles vous ont fait le plus rire, les Deschiens ou le Service Après Vente des Emissions ?
Ce n’est pas la même époque. Pour mon époque, je dirais les Deschiens, parce que je suis personnellement responsable, avec Philippe, de leur arrivée sur Canal. On était tombés dessus en allant voir une des pièces de Jérôme Deschamps et Macha Makaïeff, et à l’issue du spectacle, dans le hall, ils diffusaient de petites vidéos, des essais auxquels ils se livraient entre comédiens de l’équipe, qui étaient en fait l’embryon des Deschiens. On avait trouvé ça tellement extraordinaire, tellement drôle, tellement neuf, et en même temps dans une simplicité, un dépouillement absolu, un cadre fixe… Je me suis vraiment battu pour que Canal les prenne, parce que De Greef n’était pas chaud du tout. A force d’insister, il avait dit : “allez, on y va !”, et il s’était pris une volée de bois vert de la presse qui pense bien, au prétexte qu’on se moquait des pauvres. Jusqu’au jour où, brusque revirement, quelqu’un a décidé que non, finalement, c’était assez génial et les Deschiens sont devenus le must absolu.

Et en 2021, qu’est-ce qui vous fait autant rire que les Deschiens ?
Différemment, parce que c’est très difficile de comparer les natures de rire, mais je suis absolument raide dingue de Bertrand Usclat (Broute), parce qu’il arrive à mettre le doigt là où ça fait mal, sans insister. Je trouve que le type est gracieux, qu’il a du talent, c’est super bien écrit. Je suis très très fan, je n’en rate pas un.

Qu’est-ce qui, d’après vous, manque le plus à la télévision, un De Greef ou un Gildas ?
C’est difficile parce que ce n’est plus la même télé, la même époque, le même contexte, le même paysage ni les mêmes offres… Mais ce qui manque sur le fond, ce sont des directeurs de programme imaginatifs, qui prennent des risques et essaient d’inventer de nouveaux formats. Les fameux talk-shows qui ont été inventés, ou en tous cas mis en place, parce que c’était un format qui existait depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, mais qui ont été mis en place en France, à l’heure du fameux access prime time, dans lesquels on mélange du talk (de la parole) et du show (du divertissement), ça, c’est un De Greef, c’est personne d’autre. Et Gildas manque pour cette espèce de bienveillance forcenée, pas du tout dans le jugement ou l’ironie. Il s’intéressait vraiment sincèrement aux gens qu’il avait en face de lui.

Et à vous, lequel des deux manque le plus ?
Philippe. Alain, c’est quelqu’un avec qui j’ai beaucoup bossé, mais Philippe, c’était comme un grand frère dans le travail. On a eu une complicité incroyable, on s’est vraiment amusés, il s’est laissé surprendre autant que je le voulais, il était très client de tout ce qu’on pouvait lui amener comme connerie. Et humainement, on s’entendait super bien, c’est la base…

La Gaule en Suisse – Elodie Jardel / CANAL+

A la télé, vous avez été speaker/animateur de talk-show, et reporter -vous l’êtes toujours-, lequel de ces terrains vous convient le mieux ?
Aujourd’hui, je n’ai plus du tout envie de faire d’émissions de plateau, même avec un fusil. J’ai pris en détestation les plateaux bruyants, avec un public qui applaudit sans très bien savoir ce qu’il applaudit, avec cette mécanique de jingles, de magnétos… Je déteste ça. Ce que j’aime, c’est pouvoir alterner une émission comme «Profession» où on est à la fois dans un truc intimiste, presque radiophonique, interrompu par personne, sans promo, on parle juste d’un métier. J’adore faire ça, et j’adore, par ailleurs, repartir sur les routes faire mon petit Tintin, avec «la Gaule», m’amuser à aller rencontrer des doux-dingues. L’équilibre des deux me convient tout à fait.

Si je vous ai parlé de speaker et de grand reporter, c’est évidemment parce qu’il s’agissait des métiers de vos parents, Jacqueline Joubert et Georges de Caunes. Comment on se construit à côté de deux fortes personnalités comme ça, comment on devient Antoine de Caunes ?
Lisez le livre…

Je savais que vous alliez dire ça…
C’est une des questions à laquelle j’essaie de répondre… Quand j’étais môme, dans les années 50 début 60, mes deux parents, non seulement faisaient de la télévision, mais en plus étaient les têtes de gondoles de l’époque, parce que la télévision démarrait, que tout était en train de s’inventer, qu’eux-mêmes étaient multifonctions… Mon père faisait aussi bien du sport que le 20h ou des variétés ; ma mère a d’abord présenté les programmes, ensuite elle s’est mise à réaliser, à en produire. Ils ont grandi avec le bébé, mais tout en gardant la tête froide, sans jamais se laisser étourdir par la notoriété, le succès, les projos. Ils n’étaient absolument pas dupes de ça, ils n’étaient dupes de rien. J’ai grandi là-dedans, et ça a complètement dé-glamourisé la télé. J’ai pu croiser des gens que peu de gens ont croisés de manière aussi intime, des Bourvil, des Salvador, des Johnny, qui préparaient les émissions de ma mère, mais ça faisait partie de la vie quotidienne. Et mes parents m’ont laissé libre de mes choix. Je voulais faire de la photo, de la musique, mais comme j’étais mauvais musicien et pas très bon photographe, j’ai bifurqué vers l’écriture, mon troisième cheval. J’ai commencé à faire des piges dans les journaux, et comme je baignais dans ce milieu-là, j’ai re-croisé un réalisateur de télé avec qui je m’en- tendais très bien, j’ai été assistant et on a déposé un truc… Ça s’est presque fait «à l’insu de mon plein gré» comme disait Virenque, je n’avais pas un but, un plan de carrière, c’est une époque où on pouvait se laisser porter.

Debout : Izia Higelin, Antoine de Caunes, Ayo, Eddy de Pretto. Assis : Stéphane Eicher, Pomme, Woodkid – Photo Rudy Waks / Canal+

Vous êtes plutôt du genre à regretter le monde d’avant ou espérer beaucoup du monde d’après ?
Je regrette le monde d’avant Internet, ou les choses se méritaient, si on voulait appeler quelqu’un il fallait qu’il soit là, si on voulait aller trouver des disques en avant-première, il fallait aller à Londres, il fallait aller voir les concerts, se parler dans la rue… Je regrette ce monde-là et je suis désespéré par le monde des tablettes, des portables, de cette espèce d’hypnose générale, de diversion de la réalité, ça, ça m’affole. En même temps, je me dis que c’est une période transitoire et que l’homme ayant suffisamment de génie, bienveillant ou malveillant, s’il arrive à détourner l’inertie générale, on peut déboucher sur un monde un peu plus humain et un peu plus vivable… Je resterai optimiste…

FAN DE

Quelle émission de télé auriez-vous rêver d’animer ?
Aucune. Les émissions que j’avais envie de faire, je les ai faites, les émissions de musique, Chorus, Rapido, les émissions en Angleterre tout ça… C’est vraiment des choses que j’avais en tête et que j’ai pu faire parce que j’ai croisé la route de gens qui avaient les mêmes intentions au bon moment.

Le dernier morceau qui vous a fait danser ?
C’est un groupe de l’Arizona qui s’appelle Xixa (prononcer Tchi-Tcha), il y a un morceau dans le dernier album, «Eclipse», un mélange de rock psychédélique et de cumbia, sur lequel j’ai guinché tout l’été. Ecoutez ça, c’est très joyeux, si vous restez assise c’est que vous avez un problème lombaire.

Celui que vous chantez sous la douche ?
J’évite de chanter de manière générale, encore plus sous la douche, mais je peux fredonner du Bruce… notamment une chanson que j’adore : « Thunder Road ».

Quel est l’artiste dont vous adoreriez avoir une création chez vous ?
J’aime beaucoup la photo, j’aimerais bien un portrait de Richard Avedon, une peinture du Titien ou un original de Jean Giraud (le dessinateur de Blueberry)…

Le dernier auteur que vous avez dévoré ?
Rosa Montero, qui vient de publier un nouveau roman, chez Métailier. Je l’avais découverte grâce à Mona Cholet, qui m’avait fait lire «le Roi Transparent», un des plus beaux livres que j’ai lus ces dernières années. Et son nouveau roman, «La Bonne Chance», est absolument remarquable.

L’acteur ou l’actrice qui vous touche le plus ?
Récemment, c’est Timothée Chalamet dans « Dune ». Il a une grâce absolue, ce que les Anglo-saxons appellent la “star-quality”, il est à l’image et hop ! il prend toute la lumière. C’est un magnifique acteur, j’avais adoré ce qu’il avait fait dans «Call me by your name» ou «Le Roi». Et en allant voir Dune, évidemment, je suis aussi tombé amoureux de Rebecca Ferguson.

Le super-héros dont vous auriez aimé avoir les pouvoirs ?
J’aime pas les super-héros… Ils me fatiguent un peu avec leurs moule-burnes et leurs super-pouvoirs. Ou alors ce serait Superdupont, de Gotlib.

Photo : Radio France / Christophe Abramowitz



DIDIER DESCHAMPS

DIDIER DESCHAMPS

WE ARE DESCHAMP(ION)S

Au «Château», c’est Didier Deschamps qui donne le La, pour un (à la) Clairefontaine au diapason et une chorale de bleus à l’unisson, prête à s’égosiller sur une Marseillaise endiablée. Dédé nous fait chanter depuis 30 ans et personne ne s’en plaint. Pire, on en redemande. Chaussez vos crampons, we are the champions…

France-Croatie

67 millions de Français, et presqu’autant de sélectionneurs revendiqués quand un mondial pointe le bout de son ballon. Au final, un seul élu patenté, mais c’était bien tenté, quoiqu’un tantinet audacieux de se mesurer à un champion du monde en la matière, non?! 
Didier Deschamps a tout gagné ou presque, comme joueur, entraîneur ou sélectionneur. 
A 53 ans, le Bayonnais est le deuxième joueur de l’histoire, après Franz Beckenbauer, à avoir gagné en tant que capitaine le Championnat d’Europe des Nations, la Ligue des Champions et bien sûr le graal, la fameuse Coupe du monde. Comme l’Allemand –et le Brésilien Mario Zagallo– ils ne sont que 3 au monde à avoir soulevé le trophée en tant que joueur, puis sélectionneur. Ça vous pose un homme, hein ? Je dirais même plus : chapeau basque ! 
A Clairefontaine, à la veille d’une indécente déculottée kazakhstanaise –un 8-0 qui nous envoie, non pas au paradis, mais au Qatar, c’est sur la route !–, Didier Deschamps est tout sourire pour répondre à mes questions… Retour sur le parcours d’un homme d’une simplicité aussi désarmante que redoutable. 

Activmag : Quel genre d’enfant étiez-vous ?
Didier Deschamps : Le genre plutôt calme et studieux, mais avec le besoin de se dépenser, tout le temps.

Le foot, ce n’était pas une évidence pour vous, il y a eu la natation, le cross country, le demi-fond…
Oui je pratiquais, enfant, tous les sports. L’athlétisme beaucoup, le hand aussi, la pelote basque et le rugby bien sûr –à Bayonne, c’était normal–, j’aimais quand même un peu plus le foot, mais pour moi, c’était juste du sport pour m’amuser !

En athlé, d’ailleurs, vous n’étiez pas mauvais…
Ouais ! Sur le 1000 mètres, je me défendais plutôt bien (en 5e, il est tout de même sacré champion de France scolaires, catégorie Minimes !). J’avais des capacités, je ne les ai pas développées, elles étaient en moi. Mais ça m’a bien servi, je dois reconnaître… Une endurance de bonne qualité, cette capacité à répéter les efforts sur la durée, c’est pas complètement inutile pour le rôle que j’allais occuper sur le terrain par la suite.

Qu’est-ce qui a fait le déclic foot ? 
Les potes ! Quand j’avais 11-12 ans, mon meilleur ami et quelques copains étaient licenciés à l’Aviron Bayonnais, et c’était un peu pour les suivre, sans idée derrière la tête. On s’entrainaît ensemble les mardis et jeudis après le collège, sans ambition particulière. Mais le déclic s’est fait au final rapidement, j’ai eu des sollicitations de plusieurs clubs professionnels pour intégrer leurs centres de formations. Parmi eux, St-Etienne, Bordeaux, Auxerre, et j’ai choisi Nantes pour commencer.

Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), 10 septembre 2019, Stade de France. Football Eliminatoires UEFA Euro 2020 France-Andorre : 3-0 (Photo Pierre Minier / Ouest Médias)

Vous auriez-pu faire un autre métier ?
Certainement. Mais pour tout vous dire, je ne considère pas, aujourd’hui, que ce que je fais est un métier !

OK, alors quand vous serez grand, vous ferez quoi ?
Quand je serai plus grand, promis, j’y réfléchirai. J’ai beau avoir la cinquantaine, je crois que je n’ai jamais travaillé. J’ai eu le privilège de vivre de ma passion, avec exigence et implication quand même, mais le travail, c’est autre chose ! Un jour, il faudra peut-être que je m’y mette, mais ne me demandez pas dans quoi, j’en ai aucune idée !

1987, premier contrat pro et déjà capitaine. A 19 ans, c’est l’année de la lancée, c’est aussi celle de la perte de votre frère (dans un crash d’avion), comment l’avez-vous surmontée ?
Ce genre de tragédie, ce sont des moments extrêmement douloureux… On doit vivre avec, ou vivre sans, puisqu’il n’est plus là. J’ai la chance d’avoir un esprit famille très marqué, mais ça n’atténue pas le chagrin et la souffrance et même avec les années qui passent, on reste marqué à vie. Mais on se construit aussi avec ces épreuves et ces drames, comme beaucoup.

Depuis le début, notamment en Equipe de France, vous avez souvent été capitaine. A quoi c’est dû ? 
C’est vrai, déjà dans les équipes de jeunes, je l’étais… Mais ce n’est pas moi qui l’ai décidé ! Je devais certainement avoir le bon profil pour avoir cette fonction, cette responsabilité-là.

Et c’est lequel, le bon profil ?
Faudra demander à mes entraîneurs, je crois que vous connaissez Aimé, posez-lui la question… Il y a, j’imagine, une question de caractère. Même gamin, je passais beaucoup de temps pour les autres. Après, faut être un leader. D’autres sont neutres ou suiveurs. J’étais plutôt dans la première catégorie, à penser toujours groupe, équipe… 

Vous avez travaillé…
Travailler ?

Pardon, vous vous êtes « amusé » avec de sacrées personnalités qui ont marqué votre carrière… parmi eux, Marcel Desailly, votre pote de toujours ? 
On était 2 gamins au centre de formation, avec la même envie, la même détermination à passer professionnel, pour jouer au FC Nantes et faire la plus belle carrière possible. On est très liés depuis. Et, coéquipiers en bleu, à Marseille ou à Chelsea, ou adversaires sur le terrain, on est toujours restés proches, aujourd’hui encore, avec des trajectoires différentes… 

Michel Platini ? 
Oui, forcément, c’est lui qui m’a sélectionné pour la première fois en équipe de France. Ça reste un moment charnière dans une carrière. Par la suite, j’ai eu d’autres formes d’échanges avec lui, notamment quand il était président de l’UEFA. Et encore maintenant, j’ai beaucoup de plaisir à parler foot et autres avec Michel.

Bernard Tapie ? 
Oui, quand il était président de l’OM, je l’ai côtoyé pendant plusieurs saisons. C’est un personnage, avec son caractère, ses habitudes, sa vision de la vie, propre à lui… On aime, on n’aime pas, mais il ne laisse personne indifférent. Sans rentrer dans le détail, j’ai retenu certaines choses instructives de nos discutions. Mais reste qu’on a partagé de grands moments sur le plan sportif. Et humain aussi. 

Et Aimé Jacquet, naturellement… 
Une évidence… Une belle relation de confiance joueur/sélectionneur, qui s’est intensifiée quand il m’a fait son capitaine à la veille de l’Euro 96. J’ai bien sûr un immense respect pour lui et une reconnaissance éternelle par rapport à ce qu’il a fait avec nous.

Vous avez rencontré de grands hommes dans votre carrière, et une vieille dame avec qui vous avez partagez une belle idylle… Votre femme est au courant ? Pour la Juve…
Aaaaah… La juve ! Je commençais à m’inquiéter avec votre question (et il explose de rire). En même temps, ma femme était là… On faisait ménage à 3 !! Disons, qu’on était les 2 avec la vieille dame… C’est une période qui m’a vraiment marqué. J’ai retrouvé là-bas tout ce à quoi j’aspirais : une exigence au quotidien, cette culture de la gagne et un vrai esprit de famille, tout le monde se sentait bien. J’ai passé, enfin, « nous » avons passé de merveilleuses années en Italie et en plus nous avons eu notre fils là-bas, en 96… Le tableau était parfait.

Il y a eu le joueur à Nantes, Marseille, Turin ou Chelsea. Dès 89, il y a l’équipe de France. Comme joueur, vous avez tout gagné : la Ligue des Champions en 93 et 96, la coupe intercontinentale et la Supercoupe de l’UEFA en 97, la coupe du monde en 98, le Championnat d’Europe 2 ans plus tard, qu’est-ce qu’il manque à votre palmarès ? Un regret ?
Si moi, j’ai des regrets, ce serait déplacé de ma part ! J’ai eu l’opportunité de gagner beaucoup de titres, mais pas tous. J’ai aussi perdu des finales importantes. Mais je n’ai pas à me plaindre. Alors certains diront que je me suis retrouvé au bon endroit au bon moment. Y a de ça aussi, car de très grands joueurs n’ont pas eu, questions de circonstances, l’opportunité d’en remporter autant. Mais partout où j’ai été, que ce soit dans ma première vie en tant que joueur ou maintenant comme sélectionneur, je donne tout pour atteindre mes objectifs, car après une carrière de footballeur, ce qu’il reste, c’est des titres. Je ne le fais pas pour la gloire ou pour flatter mon égo, mais quand on est compétiteur dans l’âme, on joue pour gagner. 

98, de l’intérieur, vous l’avez vécu comment, car pour moi, ça a été hallucinant…
Pour moi aussi, je vous assure ! (rires)

Coupe du monde 98

Vous êtes passé du statut de joueur admiré à héros national… Il y a un avant et après pour vous ?
Carrément. Ça a été fou aussi parce que c’était en France, parce que c’était une première. Ce sport étant le plus populaire, on a connu un déferlement partout dans le pays, une communion de toute la population sans précédent. D’ailleurs les années passent, mais chacun se souvient où il était le jour de la finale et avec qui. Alors oui, ça a marqué un virage pour nous. Mis à part peut-être Michel Platini, qui avait déjà eu un peu de médiatisation hors foot dans les années 80 à travers des sponsors, là, avec 98, le footballeur est devenu une sorte de people. Bon, certains de mes partenaires ont fait aussi ce qu’il fallait pour entrer dans cet univers-là ! Mais 98 a contribué à cette bascule. 

20 ans après, vous récidivez… en tant que sélectionneur cette fois. L’émotion est identique ?
C’est difficile de comparer. Elle est aussi belle. Maintenant, ceux de ma génération ont plus été marqués par 98, mais pour les plus jeunes, 2018 est LA référence. Pour moi, c’est un succès supplémentaire. J’étais acteur sur le terrain à la première, pour cette fois, la réussite passait par mes joueurs, mais l’émotion reste aussi forte.

Et y’a quoi après ? Quel est votre graal ?
Je n’en ai pas. Mon objectif est le même : aller chercher tous les titres qui se présentent. Tant que mon envie et ma détermination sont intactes, ma tête et mon corps ont besoin de cette adrénaline si spéciale qu’on ne trouve qu’à travers le sport, même s’il en existe d’autres sortes dans le milieu professionnel. Cette adrénaline-là, j’en ai besoin, jusqu’à quand ? Je ne sais pas. Mais je ne vis que de ça. 

Vos joueurs, ce sont tous des stars dans leurs clubs respectifs, comment fait-on pour gérer autant d’égos ? 
C’est plus difficile de gérer des joueurs qui n’ont pas le niveau de ceux que j’ai à gérer au final. Le grand joueur a toujours des prédispositions naturelles par rapport à l’esprit d’équipe et au collectif. Mais quand vous devez gérer des joueurs qui sont moyens-bons, voire moyens et qui pensent être très bons, là ça devient compliqué. Alors oui, ils ont tous envie d’être importants, décisifs, ce sont des compétiteurs construits pour ça. Mais il y a aussi une gestion humaine complexe et enrichissante à mener, un groupe à créer. Je n’ai pas cette capacité à ne faire que des heureux. Sans dire que je peux aussi faire des malheureux, ça reste des êtres humains, avec leur sensibilité, leurs points faibles. Et quand il y a une exposition médiatique qui s’y ajoute, forcément, les émotions sont amplifiées. La tâche n’est pas facile.

J’ai envie de dire, qu’heureusement, dans cette tâche, vous êtes largement aidé par quelque 67 millions de sélectionneurs français, quelle chance !!
Ah oui, je ne l’avais pas vraiment vu sous cet angle-là, vous faites bien de me le rappeler !!(rires). Ils ont un avis aussi, c’est vrai, pas forcément le même que le mien, mais ça ne me pose aucun problème…

Et il y a les journalistes… Au final, qui sont les plus durs à gérer : les joueurs ou les médias ?
Heureusement, je ne gère pas les journalistes.

Vous avez en tout cas des échanges avec eux… Pas toujours simples, comme en son temps Aimé Jacquet…
Ah oui, et ça m’a servi d’expérience ! Mais aujourd’hui, l’environnement médiatique est à des années lumières de ce qu’a pu connaître Aimé. La multiplication des médias, des talk-shows, ça fait partie du « monde extérieur ». Et en toute sincérité, ça n’a aucun impact sur moi et ça ne peut en aucun cas me conditionner. La seule chose que je remarque, depuis quelques années, c’est cette montée en agressivité, verbale ou écrite, qui n’est pas le bon chemin. Mais quel que soit le propos, à partir du moment où il y a une analyse, argumentée ou pas, tant que ça concerne le sport, le choix de tel ou tel joueur, la pertinence d’une stratégie en 4-4-2 ou autre, j’accepte les règles, il n’y a pas de problème, mais si ça touche l’humain, le personnel, si la ligne est franchie, ça ne peut plus jouer ! Et malheureusement, elle est quelques fois franchie…

On tente péniblement de sortir de la crise sanitaire. Y aura-t-il un « monde d’après » pour vous ?
Oui, forcément, elle laissera des traces. Le monde a évolué, le Covid a modifié nos habitudes, parfois pour du bien aussi. On gagne en efficacité, on se réinvente, on prend conscience de la fragilité de notre planète. On se mobilise, se responsabilise. A chaque citoyen, peu importe le pays ou le continent, de prendre aussi les choses en mains pour qu’elle ne se dégrade pas davantage. 

France-Croatie 2020 – Phase de groupe de l’UEFA Nations League

Pour la jouer collectif ?
Oui, alors forcément ce n’est pas toujours simple de réunir les intérêts de chacun sous la bannière collective, je sais de quoi je parle, ça ne passe pas forcément tout de suite par de grandes actions spectaculaires, mais des petites, qui mises bout à bout et multipliées par des centaines de millions, peuvent faire la différence sur le terrain…  

FAN DE

Quel est votre acteur ou actrice préféré(e) ? 
Oh mince, je vais encore blesser des égos… J’en aime tellement. Mais je dirais, pour l’avoir rencontré plusieurs fois -il vient malheureusement de disparaître-, Belmondo.

Votre chanteur préféré que vous doublez sous la douche ?
Là aussi, il y en a plusieurs, mais il y en a un avec qui j’ai une belle relation, même une amitié, c’est Vianney.

Quel est l’humoriste qui vous fait mourir de rire ? 
Il n’y en a pas un qui ressort particulièrement. J’aime rire, mais je dois vous avouer qu’on rit plus facilement quand c’est sur les autres… quand c’est sur soi-même, on a bizarrement moins d’humour. En fait, on a le droit de rigoler, mais pas de se moquer…

Quel est l’auteur que vous dévorez ? 
Je ne suis pas un dévoreur… J’aime néanmoins les bouquins sur la gestion humaine ou les philosophies de vie, histoire de voir la vie du bon côté, de cultiver le positivisme.

Votre champion ? 
Mon fils ! Ah, vous ne l’attendiez pas celle-là ! (rires)

Quel homme de l’Histoire admirez-vous ? 
Nelson Mandela !

Quel est votre héros fictif ou réel préféré ? 
J’ai pas vraiment de héros… A part peut-être Goldorak !

Photos : Archives FFF

LUC REVERSADE, GLOBE SKIEUR

LUC REVERSADE, GLOBE SKIEUR

RADIO DE STATIONS

Endossant la tenue du client ordinaire, Luc Reversade teste, chaque hiver, une douzaine de stations de ski européennes. Depuis une quarantaine d’années, le visionnaire fondateur des restaurants d’altitude La Folie Douce capte ainsi la montagne d’aujourd’hui et imagine celle de demain.

Luc Reversade

Activmag : Quels sont les atouts majeurs des stations françaises ? 

Luc Reversade : Il y a, en France, une réelle diversité de l’offre, ce qui est moins flagrant dans d’autres pays. Ici, les stations ont des identités marquées. Il est d’ailleurs important que chacune définisse son ADN et affirme sa spécificité pour se positionner au mieux dans l’avenir. L’implantation des stations françaises à des altitudes en moyenne plus élevées qu’en Autriche ou en Italie par exemple, est également un point fort. La qualité d’accueil, l’architecture, le soin apporté à la décoration sont aussi des atouts français. Et avec la proximité d’un aéroport et la desserte ferroviaire, certaines stations, comme Chamonix et Megève, ont l’avantage de l’accessibilité.

Et leurs points à améliorer ? 
L’acheminement fait défaut pour la plupart des stations françaises situées loin des aéroports et des grandes gares. Tout comme le stationnement. On fait encore des parkings dans leur centre alors qu’on sait très bien que dans 10 ans, il n’y aura plus de voiture ! D’ailleurs, les gens veulent des stations piétonnes. En France, les pistes de ski sont en moyenne deux fois plus étroites qu’ailleurs en Europe, ce qui est moins sécurisant. Nous accusons aussi un retard en termes de remontées mécaniques et d’aménagements pour y accéder (chemins piétons balisés par exemple). Il y a également un manque d’activités ludiques comme la luge ou le ski nocturne. Le système de réservation en ligne français n’est pas homogène, ni centralisé. Contrairement à beaucoup de stations autrichiennes ou comme Laax en Suisse qui permettent avec une seule application de réserver son type de forfait, la remontée mécanique, et même le restaurant.  

Quelles sont leurs principales concurrentes et pourquoi ? 
En Autriche, au Tyrol : St. Anton, Lech, Warth, St. Christoph… ont des remontées mécaniques extraordinaires et offrent un excellent rapport qualité-prix. En Italie, celles des Dolomites : Arabba, Kronplatz, Val Gardena…. On peut aussi citer Madonna di Campiglio qui est devenue piétonne et connaît depuis un succès fulgurant. Avec l’implantation de remontées mécaniques directement au départ des gares ferroviaires, la Suisse s’affirme aussi de plus en plus comme une concurrente redoutable (avec Zermatt, Verbier, Andermatt, Grindelwald…). Il y a là-bas des stations qui ont des identités fortes et ont parfaitement ciblé leur clientèle. Laax qui est jeune et très branchée a le plus grand snowpark du monde. Flims, plus bourgeoise, a notamment mis en place un télésiège à bulle, chauffant, qui pivote à 180° pour la vue !

Vous constatez le retard pris par les stations françaises. À quoi l’attribuez-vous majoritairement et comment lutter contre ?
Le Plan Montagne est fait par des politiques qui ne prennent pas le temps de bien connaître les stations étrangères et leurs atouts. En Autriche ou en Italie, les stations sont la propriété de familles qui ont tout intérêt à investir pour maintenir une qualité qui n’est pas toujours garantie en France  ! Les remontées mécaniques devraient appartenir aux villages au moins à 50%. C’est capital : tant qu’on ne changera pas fondamentalement ce mode de gouvernance, on n’arrivera pas à revenir au niveau des Autrichiens, des Suisses et des Italiens ! En matière d’hébergement, la politique française génère aussi beaucoup de lits froids. Pour éviter cela, il faut absolument arrêter le système qui permet de vendre des bâtiments à la découpe à des promoteurs ! La loi qui autorise ça aujourd’hui ne protège pas la montagne. D’autant que ce n’est pas le cas ailleurs, comme en Suisse, avec la loi Lex Weber qui limite les constructions de résidences secondaires et de fait le bétonnage des stations. 

Que faudrait-il aussi mettre en place pour répondre aux attentes clients ?
Il faut proposer, sur les pistes, des services qui vont au-delà d’une agréable pratique du ski. Ce peut être, par exemple, de pouvoir s’acheter une paire de gants, si on les perd dans les remontées, sans avoir besoin de redescendre en station, une crème solaire ; d’essayer une paire de skis, un vêtement ; ou de disposer d’un espace connecté pour pouvoir gérer un problème professionnel urgent en haut des pistes. En restauration d’altitude, il est important d’avoir une offre diversifiée et d’élargir la prestation (garder les skis des clients, les farter pendant leur déjeuner…). 

On parle aujourd’hui beaucoup de la station « quatre saisons ». Pensez-vous que ce soit l’avenir ? 
Ce type de positionnement dépend de ce qu’on peut proposer aux clients comme hébergements ou activités en dehors de la saison d’hiver. C’est lié à la localisation, à la culture locale, aux infrastructures. Ouvrir l’été serait par exemple adapté dans les Aravis, à Samoëns, à Châtel. Mais faire venir des clients à Val Thorens ou à Val d’Isère en intersaison serait beaucoup plus compliqué !

Le dérèglement climatique impacte particulièrement l’environnement montagnard. Pour l’avenir, quelles solutions écologiques vous paraissent compatibles avec les réalités économiques ?  
Quand je suis arrivé à Val d’Isère dans les années 80, on fermait le restaurant au minimum 2 semaines par an en raison des problèmes d’accessibilité liés à l’enneigement et aux tempêtes. Depuis une dizaine d’années, c’est réduit à un jour à peine. Il peut y avoir autant de neige qu’avant, mais désormais il pleut même en haute altitude. Pour diminuer l’empreinte carbone, on pourrait planter des arbres sur les montagnes, ce que je voudrais d’ailleurs faire à Val d’Isère. On peut envisager des chauffages collectifs au bois y compris à l’échelle d’une station, comme c’est le cas à Lech en Autriche, la récupération de l’eau de la fonte des neiges, l’amélioration du traitement des déchets qui sont triés par les restaurants d’altitude, mais finalement collectés en bloc pour être amenés à la déchetterie, etc… On peut aussi miser sur le photovoltaïque qui fonctionne bien en altitude, la géothermie, et pourquoi pas avoir des ratracks électriques…

L’application de mesures environnementales est donc la solution ?
L’écologie -bien pensée et non pas punitive- est indispensable. Il y a plein de choses à faire, on peut toujours s’adapter et il faut trouver des solutions au cas par cas. Mais arrêter l’enneigement artificiel et les remontées mécaniques serait vraiment contre-productif pour les stations à ce jour… 

Photo : Télésiège station Flims-Laax

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