ENQUÊTE DE SENS

L’année avait mal commencé. Je perdais mon veilleur de nuit, mon metteur en scène -en selle aussi-, mon influenceur, mon bookmakeur. Sa plume s’est envolée, mais ses mots tambourinent encore dans le noir. Depuis, mes doigts restent sans voix, ma plume me laisse à poil. J’ai le cœur qui prend l’eau. J’écope, j’écope, mais rien n’y fait. Elle est encore loin la terre ? J’ai perdu mon père, plus mes repères, juste ce goût amer. Y a vraiment rien à faire…

Puis vint la double peine. Incarcérée sans même être jugée, dans le quartier bouclé, si isolée, pourtant, je le jure, je suis blanche immaculée, et me voilà en résidence surveillée, puis relâchée enfin. Une liberté aménagée de courte durée. De nouveau condamnée, à distance de sécurité des êtres aimés. Plus de baisers, de câlins enlassés, à grandes lampées de solutions alcoolisées, des milliards de vengeurs masqués, pas un pour siffler la faim de récrés. Faut attendre que tous soient vaccinés. Y a vraiment que ça à faire…

Pendant ce temps, ma petite entreprise connait bien la crise. Et j’ai beau flamber tout mon stock de chauffe-plats Ikéa à l’église, à l’éblouir comme si les projecteurs de tous les médias s’étaient branchés à la même prise -ah, c’était pas moi ? Y aurait méprise ?-, elle semble bien trop compromise pour assurer le service minimum : c’est la mouise. Les voies du seigneur sont bien impénétrables, elles… qu’on se le dise. Pour les miracles économiques, faudra repasser. Y a plus que ça à faire.

Mais en attendant, il faut stopper l’hémorragie et les urgences sont saturées. Opération à cœur ouvert, ce cœur ca-boss’é qui crève de devoir couper ce qu’il a de plus précieux, mon équipe. Mon couteau suisse (plus alpin qu’helvète) a perdu la moitié de ses lames, certes, mais pas son âme. Il faut juste raviver la flamme et sortir les rames. Inventer le mag d’après, dans ce monde d’après en quête de sens. Un beau challenge. Une nouvelle histoire à mettre en pages. Le chantier est ouvert. Y a tout à faire.

Le faim mot de l’histoire

Tout le gratin dauphinois était là. Une belle brochette de grosses légumes, des financiers en nœud papillote, la crème des cervelles de canuts, jusqu’aux plus hautes sphères des cabinets minestrones. Ça sentait l’oseille à plein nez.
Charlotte se faisait mousser au milieu de ces huiles pressées, se disait « Marquise », mais beignet dans une robe meringue quatre-quarts trop grande pour elle. Elle expliquait, de sa voix aigre douce, posséder des îles flottantes au large d’un far breton. Un trésor y était en terrine. Mais où ? Ça lui faisait sushi. Elle était palourde, mais presque. Et son cassoulet l’assemblée. D’autant que nul n’ignorait qu’elle avait tout flambé, cette banane ! Sa fortune avait fondue en Suisse – ou en Savoie ? Eternels d’abats… –. Elle n’avait plus un radis.
La poule au pot au rose ainsi découverte – “Ah les aligots !” -, l’instant dé-confit digéré, avait jeté son dévolu sur un Bavarois en marinière et lui collait aux basquaises depuis le début de la soirée. Il avait de la brioche et ses cuisses de grenouille flageolet, tout émulsionné qu’il était, mais la dame blanche n’allait pas chercher un autre pigeon à se farcir, un tian vaut mieux que deux tu l’auras. Et il se faisait tartare…
La frisée – aux lardons casés chez les voisins – avait la nuit pour un croque-monsieur artichaut… Vivement qu’ils aïoli !
Magret tous ses efforts, en potée qu’il était, Canard et son lance-roquette ont fini mimolette. Ce fut la dé-brandade ! Elle n’allait pas enfoncer le clou de girofle, le pigeon avait assez bu l’bouillon… La cocotte abandonna son pot’ au feu un instant pour qu’il se remette de ses émotions. A son retour, il était paëlla. Le gas – pacho pour remettre le couvert – avait filet, l’mignon, en un éclair pour un Paris-Brest ! Elle qui pansette finir ravioli… Elle riz au lait et aux larmes aussi, Madeleine.
Vraiment, Homard l’a tuer !

en mode sport

en mode sport

Casqu’ador !

Soyons honnêtes, un casque de vélo, c’est gros, c’est moche, c’est flashy, parfait pour les adeptes du look champignon hallucinogène ou du Tour de France, mais pour rouler en ville, t’as juste envie de raser les murs ! Et pourtant, en cherchant bien…

LE + FASHION

Voici le casque que toute fashionista qui se respecte devrait avoir dans son dressing. En carbone, noir, tout simple. Ok, je ne vends pas du rêve, là ! Mais attendez… Son secret : le casque Yakkay est équipé de petites accroches sur lesquelles vous pouvez fixer le chapeau cache-misère. Ah, là, je sens votre attention au taquet. Casquette, bob, chapka, béret, chapeau de paille, paillasson… Simple, mais il fallait y penser ! Et les Danois l’ont fait. Il suffit d’acheter votre casque de base (79 €), et de choisir le chapeau qui viendra l’habiller (de 49 à 119 €), et d’en changer selon l’humeur du jour, la p’tite robe et le temps… La classe !

le + chic

Dans la mythologie grecque, Egide est un bouclier magique porté par les Dieux qui vous assurait une protection aux p’tits oignons. Et comme, on est bien un peu des déesses sur nos destriers, voilà notre bouclier : l’Atlas Camel de chez Egide. En cuir français pleine fleur, il est intégralement fabriqué et gainé à la main. En plus d’un superbe design aux finitions dignes de la maroquinerie haut de gamme: marquage à chaud, surpiqure (point sellier)…, il est aussi élégant que confortable et technique ! Le cuir est traité déperlant, résistant aux rayons UV et aux effets du temps. L’intérieur est démontable et lavable en machine. Bref, c’est le premier casque de vélo de luxe ! (279 €) Dieu qu’il est beau !

LE + PRATIQUE

C’est déjà une star ! Récompensé par de nombreux prix, il fait le beau au Musée des arts modernes MOMA à New York (dans leur boutique) et sera parfait sur votre tête ! Sa structure en polypropylène expansé haute densité -recyclable à 100 %- possède des propriétés mécaniques extra-ordinaires d’absorption des chocs et d’élasticité. Ce matériau permet aussi à votre casque Closca Fuga, en plus de son efficacité, d’être parmi les plus légers du marché : 230 g seulement, avec un super look à la clé ! Cerise sur le gâteau : d’un simple clac, vous réduisez de 50 % son volume. Avec seulement 6 cm d’épaisseur, vous pouvez le glisser partout, dans votre sac, dans un tiroir, dans votre culotte… euh, histoire de rembourrer votre postérieur… Le Closca, c’est in the pocket ! (120 €)

LE + BLING BLING

Miroir, miroir, qui est la plus belle sur son vélo ? Non, ne dis rien, il suffit de te regarder pour me voir !! Le casque Mirror Mirror, fabriqué par Bobbin depuis 2013, a des fans dans le monde entier. Si vous voulez être glamour ET visible sur votre vélo, ne cherchez plus. Le casque Mirror est disponible en finition miroir Chrome, Gold, Rose Gold et Bronze. Et pour enlever ce moucheron de votre sourire béat, vous serez bien contente d’avoir ce miroir sur la tête ! (49 €)

LE + MALIN

Tout nouveau, tout beau, l’entreprise danoise Newton-Rider vient de mettre au point un casque souple, à plier dans sa poche lorsqu’on ne l’utilise pas. Mais le plus dingue reste à venir : ce casque au design tendance se constitue d’un gel aux propriétés viscoélastiques. En cas de choc, sa structure molle devient instantanément rigide comme du plastique. Autre avantage, une fois le choc passé, le gel se ramollit pour revenir à la case départ. Ce qui permet de l’utiliser à nouveau. Et ce, contrairement aux casques traditionnels dont la mousse se brise irrémédiablement en cas d’accident et doivent donc être jetés. (84 €)

LE + RéTRO

Voilà «Thousand» (mille en anglais) comme une promesse : la promesse et l’objectif de sauver des milliers de vies en donnant envie aux gens de porter un casque. A commencer par ceux de la collection Metallics (Polished Titanium, gold ou rose gold) à moins que vous ne préfériez ses couleurs éclatantes et rafraîchissantes. Elégants et légers, les casques Thousand Heritage s’inspirent de l’esprit vintage des bikers californiens des années 50 et 60. Les finitions sont très précises avec un revêtement du casque « glossy » (facile à nettoyer), un système d’accroche magnétique à une main et des lanières en cuir végétal. Autre avantage indéniable : derrière le logo, se cache une ouverture secrete pour glisser votre antivol en U ou chaîne et ainsi protéger votre casque en plus de votre vélo. (99 €)

LE + LUMINEUX

Alors, c’est pas le plus girly, on est d’accord, mais c’est sans doute le plus bosseur ! Le Lumos Kickstart, doté d’un accéléromètre, ne se contente pas d’éclairer devant grâce à ses LEDs blanches ultra lumineuses, non. Il ne se borne pas non plus juste à signaler votre position aux autres véhicules à l’arrière. Ce serait trop basique. Votre casque Lumos alerte automatiquement lorsque vous freinez (leds rouges), mais également lorsque vous comptez tourner (flèche de leds oranges), clignotants que vous actionnez à l’aide d’une télécommande sans fil située sur le guidon, ou grâce à votre Apple Watch. La montre détecte la direction du bras et actionne le clignotant correspondant. Nommé au Prix de l’Innovation 2020 de la Sécurité Routière, et non, pas de la fashion week ! (180 €) Existe aussi en version Matrix, avec écran arrière. (250 €)

LE + PRINCESS’

On est d’accord, une princesse sans paillette, c’est pas une princesse, hein, Kevin ? Pour mettre des paillettes dans votre vie, commencez par en mettre sur votre tête ! Le Sparkle Glitter, c’est LE casque couture de chez Sawako Furuno, une architecte japonaise, installée à Londres, passionnée de vélo, de mode et de design. Comme elle ne trouvait aucun casque à porter sans avoir honte de son look, elle se mit à «customiser» les siens grâce à des bombes de peinture, des stickers, et autres outils de mercerie. C’est l’hystérie chez ses collègues, jusqu’au point de la convaincre de lancer sa propre griffe, dédiée aux casques pour femmes. Prête à scintiller de mille feux ? Le plus : recouvert d’un tissu pailleté, les finitions sont réalisées à la main. So chic ! Je le veux, reste plus qu’à me mettre au vélo ! (120 €)

LE + CHAMPêTRE

Avec le casque Street Fun Flor All, de la marque américaine Nutcase, ça sent bon le printemps et les p’tites fleurs ! 2 fois plus réfléchissant que les autres casques du marché, il permet d’être vu et de rouler en toute sécurité la nuit. Avec pas moins de 11 bouches d’aération, nul doute que vous garderez la tête froide, même en cas de queue de poisson ! Bénéficiant de la technologie ultre sécuritaire MIPS, ce casque offre une protection exemplaire pour le crâne et les premières vertèbres. (90 €)

LE + GONFLé

Rouler cheveux au vent en toute sécurité, c’est possible. C’est du moins la promesse d’Hövding à tous les réfractaires du casque. Voici donc l’airbag vélo ! N’importe quoi ?! On se calme, je vous explique : planqué dans un foulard autour du cou, l’airbag vélo, en cas de chute ou d’impact, se déclenche en 1/10e de seconde et grâce à une petite cartouche de gaz froid à base d’hélium, enveloppe la tête d’une capuche renforcée, dont la capacité d’absorption des chocs est 3 fois supérieure à celle d’un casque classique. L’Hövding airbag est l’œuvre du duo féminin, Anna Haupt et Teresa Alstin. Les deux géniales créatrices ont travaillé plus de 7 ans sur le développement de l’airbag pour cycliste en collaboration étroite avec des spécialistes en traumatologie crânienne et des étudiants en mathématiques pour développer leur puissant algorithme. Tout ça pour sauver un brushing… et des vies ! (300 €)

LE + DRôLE

Pour un brushing d’un autre genre, qui ne bougera pas d’un cheveu, on vous l’assure… Au Danemark, l’agence de design MOEF a imaginé un casque de vélo inspiré de la coupe indémodable des Playmobil®. En partant du constat que 44 % des jeunes roulent à vélo sans protection, Simon Higby et Clara Prior ont avant tout pensé leur couvre-chef dans le but d’inciter et de sensibiliser les éternels enfants au port du casque. Pour l’heure, l’objet collector n’est encore qu’à l’état de prototype, mais il pourrait être prochainement commercialisé. Du moins, on l’espère… ou pas !

Minh Tran

Minh Tran

Minh de rien

Si dans son atelier annécien, Minh Tran peint d’énormes cœurs débordants, des femmes aux bouches carmin intense des couleurs explosives qui réchauffent les âmes, c’est pour mieux rhabiller son monde. Mais comment peut-on concentrer autant d’énergie positive dans un corps si petit ?

Il a 60 ans et s’habille en 14, termine la plupart de ses phrases dans un éclat de rire, le regard toujours malicieux. Né en pleine guerre du Vietnam, Minh Tran est le 7e d’une fratrie de 11 enfants animant la famille bourgeoise d’un architecte. Il en sera arraché à 18 ans par le régime communiste galvanisé d’un pouvoir fraîchement acquis par les armes. Envoyé en camp de travail, il ne doit sa survie qu’à quelques paquets de cigarettes, un bon tempérament et un projet d’évasion…
“Ce n’était pas une prison, mais un camp de travail forcé. Les conditions étaient dures, le travail très physique et mes aptitudes physiques, euh… plutôt limitées (rires). Je suis tombé malade là-bas, et en 1979, je n’ai vu qu’une issue, m’enfuir. Un ami, qui venait livrer le camp en nourriture, m’a caché dans son camion, et c’est ainsi que j’ai pu m’évader, rejoindre la ville pour prendre le premier train pour Saïgon. De là, j’ai retrouvé l’un de mes frères et on a fui le pays comme boat people pour les Philippines. On a été conduits dans un camp de réfugiés”.

Activmag : Tu passes d’un camp de travail à un camp de réfugiés, tu y as gagné au change ?
Minh Tran : A peine. Au camp de réfugiés, c’est la loi du plus fort pour survivre. Et comme je n’avais pas vraiment la carrure pour intimider, mais que je parlais quelques mots d’anglais et de français, j’ai bossé pour la Croix de Malte, une sorte de Croix Rouge, pour accueillir les nouveaux réfugiés au camp. Du coup, on me respectait… J’y suis resté un peu plus d’un an avant que je sois envoyé à Montréal.

Pourquoi Montréal ?
J’avais le choix entre les Etats-Unis et le Canada. Mais je n’aime pas les Américains… La guerre du Vietnam a laissé des traces. Alors le Canada était la seule option, quitte à patienter plus longtemps au camp pour obtenir cette destination.

Tu as retrouvé tes parents depuis ?
Non, je ne les ai jamais plus revus. Il m’était impossible de retourner au pays de leur vivant. J’étais un déserteur, un sans patrie.

Du Vietnam, de tes parents, tu as gardé quelles valeurs ?
Les communistes m’ont inculqué celle du partage. Dans nos écoles privées, on était plutôt refermés sur nous. On ne vivait qu’entre riches… Quand le communisme est arrivé, j’avais 15 ans et c’est lui qui m’a appris à partager. Même si le régime s’est montré horrible par la suite, au moins, il m’aura apporté ce sens-là. Et c’est grâce à ça que j’ai pu survivre dans les camps. Si je n’avais pas partagé les quelques denrées que mes parents m’envoyaient, du sucre, du sel ou du tabac, je serais mort ! En partageant, on m’a aidé, soigné, quand j’étais à bout de force, certains ont fini mes travaux pour que je ne sois pas corrigé. Depuis ce jour-là, j’ai appris à partager, à aimer les autres. Et puis, de mes parents, c’est d’avoir des convictions et d’être juste. Il faut se battre pour que la société devienne meilleure, aller toujours de l’avant, être dans l’action et ne pas attendre que ça tombe tout seul.

Et tu débarques au Québec à 21 ans, sans formation…
Oui, et contrairement en France, les études y sont payantes. J’ai obtenu un prêt, des bourses, il fallait donc bosser en parallèle pour rembourser. J’ai trouvé un boulot dans un bar. Et j’ai repris mes études, en design au début, puis dans les arts appliqués. J’adore l’art, et sous toutes ses formes… Dans ma famille, au Vietnam, l’art était omniprésent. Mes frères et sœurs jouaient tous du piano. On a eu une belle éducation. Les plus grands sont tous allés dans des écoles françaises. Mais arrivé à moi, je suis le 7e, mon père en a eu marre qu’à table, ça ne parle que français, marre de ne rien comprendre en fait (rires). Il m’a dit : alors toi, stop ! Tu iras en école privée vietnamienne. Il était dur, mais très juste… Les aînés parlaient donc tous français, les plus jeunes anglais. Moi j’ai pioché quelques mots dans les 2… Ce qui m’a aidé au Québec. Et m’a permis de sympathiser avec une fille qui venait prendre un café dans le bar où je travaillais, une étudiante française… On a eu une petite histoire, puis elle a dû repartir chez elle. Au final, je suis resté 8 ans au Québec.

Envie de bouger ?
J’aime les voyages, mais c’était compliqué de partir, je n’avais pas de sous. J’ai réussi à économiser pour me prendre un billet d’avion «open 6 mois» pour faire le tour de l’Europe. J’ai pas mal bourlingué, visité des pays, dépensé tous mes sous. Et en arrivant en France, j’ai cherché à retrouver cette étudiante. Elle vivait chez ses parents à Poisy. Je l’ai appelée, elle m’a hébergé et au bout du compte, on s’est mariés ! Je n’ai jamais pris mon vol retour pour le Québec… On a eu 2 enfants. Au bout de 7 ans, on s’est séparés.

Mais tu es resté ici ?
Oui, j’aime trop cette région, la montagne… j’ai même appris à faire du ski.

Et t’as trouvé un job facilement en France ?
Dès mon arrivée à Annecy, je suis allé à Bonlieu, au centre culturel, il y avait un petit imprimeur qui faisait des affiches pour des associations, des spectacles… J’ai poussé la porte et j’ai demandé «vous voulez pas d’un mec comme moi ?» et ils m’ont embauché !!! J’ai dessiné pour eux, fait des affiches pendant 1 an. Avant de me mettre à mon compte, à créer des stands pour les salons, à faire encore des affiches. Ça a duré une dizaine d’années, et j’en ai eu marre. Après le divorce, j’ai eu envie de tout arrêter, le graphisme, tout…

Même les femmes ?
Ah ça non ! J’y arrive pas (il éclate de rire). Mais ce sont elles qui ne me lâchent pas ! (Rire). Et là je décide de retrouver mes premières amours, l’art. Quitte à gagner nettement moins bien ma vie, mais prendre du plaisir. Et ça me sauve de la déprime ! Je ne m’y attends pas alors, mais ma peinture plaît immédiatement. J’expose partout en galeries, je voyage beaucoup, de la Russie à l’Italie, de l’Espagne à la Slovaquie et bien sûr partout en France. C’était fou. J’ai tant brassé dans ma vie… rencontré tellement de gens magnifiques, surtout en Slovaquie. J’ai tissé des liens avec des artistes là-bas, qui durent toujours. On ne parlait pas la même langue, mais on arrivait à communiquer… en dessinant ! Pour manger, boire, pour tout… un croquis et on se comprenait ! C’était génial. J’aime les rencontres par dessus tout, mais en revanche, à l’étranger, je n’ai jamais touché une femme. Je me le suis toujours interdit. C’est trop facile, notamment dans les pays de l’Est, tu sors un billet et tu peux tout avoir. C’est inconcevable pour moi. Les « bêtises », je les fais en France, pas ailleurs ! (Rires) Je préfère, en voyage, aller boire des coups avec les copains… Et puis, il y a quelques années, j’ai décidé d’arrêter les expos, ça m’a épuisé de bouger tout le temps. Je suis bien ici, j’aime ma tranquillité, je suis confort !

Plus de voyage ?
Si, mais pour partir seul, dans le désert surtout… Pour vivre avec rien comme les peuples sur place, s’adapter, accepter les gens tels qu’ils sont, sans comparaison, sans tentation, goûter aux plaisirs simples, s’émerveiller d’un rien. J’aime le vide du désert de Mauritanie ou celui d’Algérie. Ils me fascinent. Plus il y a rien, plus je suis bien ! Et quand j’ai fait le plein de rien, je rentre.

Et le Vietnam, tu y es retourné ?
2 fois. Mais j’ai été déçu. Le pays a trop changé par rapport à l’image d’après-guerre que j’en ai gardée, et tant mieux pour lui. Mais moi, je n’y ai plus mes repères, l’image figée dans ma tête de gamin ne correspond plus à rien. Et puis j’ai une forme de culpabilité. Quelque part, je les ai abandonnés. Ma vie aujourd’hui est plus douce que la leur.

Qu’est-ce qui inspire ta peinture alors ?
Je suis un hyper sensible, je peins la légèreté pour mieux masquer la tristesse. C’est la beauté de la vie qui m’inspire. Certes la vie est dure. Très dure. Elle l’a été avec moi dans les camps, et même au Canada quand tu arrives avec que quelques mots balbutiés pour tout bagage. Et malgré tout, la vie est belle, les gens aussi. Il suffit de les regarder avec légèreté, avec sensualité et tout devient doux. Je veux mettre de la couleur dans ma vie, sur mes toiles, peindre le beau, cette quête du bonheur parfait si fugace, qui passe et s’échappe parfois si vite.

Et ton bonheur à toi aujourd’hui ?
Oh… je vis avec quelqu’un depuis 20 ans, mais j’ai négocié tout de suite !

T’as négocié quoi ?
L’indépendance. Une vie de liberté et de confiance. Chacun sa personnalité, chacun sa vie… C’est mieux ainsi, ça dure plus longtemps. Avec elle, j’ai eu 2 autres enfants, qui sont grands. Tous des passionnés.

T’es quel genre de père ?
Je suis cool, je laisse vivre, mais avec des règles et du respect. Mais je n’interdis rien ! Je les laisse explorer, tenter des aventures. A la première crise d’adolescence, plutôt que de hausser le ton quand l’aîné est devenu pénible, je lui ai tendu un billet d’avion pour le Vietnam, et je lui ai dit : va faire un tour là-bas, tout seul pendant un mois. A son retour, plus de crise, plus rien, ça a roulé tout seul ! La suivante, Mathilde, pareil, crise d’adolescence, plus compliquée, c’est une fille ! (Rires) Je l’ai envoyée aux Etats-Unis. Retour nickel aussi. (Rires) Le suivant, Hugo, désœuvré après son bac, envie de rien. Au Canada ! Et hop… Pendant 1 an, il a appris à se démerder. Retour dans les rails ! Avec ces voyages, ils gagnent tous en maturité d’un coup. Sauf ma dernière… Elle n’est pas partie, mais elle est moins chiante que les autres. Faut dire qu’elle sait, avec les 3 autres, ce qui l’attend : le goulag !! (Rires)

Et toi, maintenant ?
Je me pose un millier de questions avec l’âge… J’ai toujours vécu au jour le jour, et je crois que maintenant ça me pèse. Je tourne en rond. Je me cherche…

Tu ne nous ferais pas une petite crise de la soixantaine, là ?
Ouh là… Mince ! Tu crois que j’dois prendre mon billet pour la Russie !? (rires)  

+d’infos : http://atelierminhtran.com
Photos : Lara Ketterer

Minh, ton endroit pour…

… en prendre plein la vue ?
Au col de la Forclaz au-dessus du lac d’Annecy. Tu te poses au restaurant, avec une bonne bière et tu admires le lac en entier. Spectaculaire.
… buller ?
Au Chicago, un petit bistrot à Annecy dans un quartier reculé. Quand je me pose là-bas, je suis juste heureux.
… faire la fête ?
Ici, dans mon atelier, quartier de la Mandallaz… J’y fais souvent la fête…
… manger ?
Au Bistrot du Rhône, une rue plus loin. C’est vraiment excellent et l’accueil au top.
… se nourrir l’esprit ?
Mon atelier. Il n’y a qu’ici où je peux me ressourcer. J’y ai créé mon cocon.

Sur l’eau : l’Espérance III

Sur l’eau : l’Espérance III

La Fabrick d’Espérance

Il était un petit navire qui n’avait ja, ja, jamais plus navigué… depuis 1930. Et ce n’est pas faute d’avoir largement favorisé l’essor d’Annecy pendant plus d’un siècle. Et puis plus rien. Les bricks se sont cassés du lac… C’est à en perdre ses voiles latines ! Mais quand l’espoir fait vivre, Esperance renaît… Ohé, ohé matelots !

Les voiles latines rayées de la surface du lac… Tel devait être leur destin. Mais contre toute espérance et grâce à l’idée un peu barrée d’un homme et à l’audace -voire l’inconscience- d’une poignée d’autres qui ont répondu : « chiche ! », l’emblématique Espérance revient à la vie… un siècle plus tard. Inespéré…

OH MON BATÔÔÔÔ…

Depuis l’Antiquité, le lac d’Annecy a représenté une voie de circulation plus rapide, plus économique et plus sûre que les mauvaises routes. Il faut dire que les voies sont restées longtemps impraticables du côté d’Angon et en face, au niveau de la pointe de la Puya. Les 2 rives étant compliquées d’accès, ne restait que la voie d’eau”, explique l’historien annécien Philippe Grandchamp. Ainsi, jusque la fin du 18e, les marchandises -raisin, fourrage, bois, tuiles…- étaient transportées à bord de chalands alpins, les «naus». Ces grandes barques à voile carrée, sans gouvernail ni quille, étaient peu maniables : il fallait choper le vent de dos ou sortir les rames et l’huile de coude ! Mais leur fond plat permettait d’accoster n’importe où, même quand les eaux étaient peu profondes. Les naus faisaient donc l’affaire pour les besoins du petit cabotage ici, comme sur le Léman.

DE GALÈRES EN GALÈRES…

Mais au Moyen-Âge, la situation féodale de la région va conduire à donner, à la flotte du Léman, un visage quelque peu insolite et pour le moins unique en Europe pour de la batellerie d’eau douce. Les Comtes de Savoie possèdent, au 13e siècle, la totalité du littoral lémanique. Tout, à l’exception de Genève. Pour en assurer le contrôle et surtout se protéger des attaques bernoises qui convoitent le territoire vaudois, ils vont faire construire une flottille de galères par des charpentiers venus de Méditerranée, les Génois. Ainsi, les rivalités entre Savoie, Genève et Berne entraîneront la construction de véritables armadas, avec batailles navales, pillages et exactions à la clé. Certains navires pouvaient transporter jusqu’à 380 marins et soldats ! Vision surréaliste sur ce lac, aujourd’hui si paisible. Les conflits y feront pourtant rage jusqu’au milieu du 16e siècle. Les galères subsisteront, quant à elles, jusqu’au 18e, en évoluant vers un usage mixte, tout en s’adaptant aux lacs : faible tirant d’eau, flancs larges, immenses voiles latines et pont permettant de charger des marchandises… ou les canons au besoin ! C’est ainsi que l’histoire des barques à voiles latines inscrit ses premiers faits d’armes en terre alpines. “Car jusque-là, on ne les trouvait qu’en Méditerranée sous forme de galères ou en Mer Rouge avec les fameuses felouques. La forme des voiles triangulaires suspendues à une antenne oblique croisant le mat les rendait bien plus maniables que les voiles carrées traditionnelles. Elles sont donc arrivées sur le Léman dans ce conflit contre les Bernois, puis se sont reconverties dans le transport de marchandises”, rappelle l’historien. Jusqu’à faire des petits sur les autres lacs de la région…

Arch. dép. Haute-Savoie

ON NE CASSE PLUS DE BRICKS !

La Révolution, avec l’entrée des troupes françaises en Savoie en 1792, va brasser les cartes, entraînant le départ de toute une population de nobles et de religieux pour Turin. “Jusqu’à la Révolution, Annecy était une ville de couvents, à la fois refuge des catholiques chassés de Genève par le calvinisme, et le bastion de la Contre-Réforme. On en comptait, de mémoire, une quinzaine sur la ville.” Les révolutionnaires débarquant et la religion n’étant plus en odeur de sainteté, les couvents se vident en un tour de main. Et se remplissent aussitôt. On y installe des usines et manufactures qu’il faut maintenant faire tourner.
Et ça tombe bien, car en 1794, c’est l’effervescence : on vient de découvrir deux mines de lignite -un charbon bas de gamme mais charbon quand même-, situées au sud du lac, à Montmin et Entrevernes. Une aubaine pour alimenter en combustible les fabriques nouvellement créées.
Mais encore faut-il transporter ce matériau trop lourd pour les capacités des naus (6 tonnes max). Or, les barques à voiles latines du Léman, peuvent, quant à elles, supporter jusqu’à 40 tonnes ! Et cerise sur le bateau, on peut y entreposer les marchandises directement sur le pont, et pas à fond de cale comme sur les naus. Bien plus pratiques pour la manutention.
Ni une, ni deux, le premier « brick » est fraîchement commandé à Pierre-Joseph Portier, charpentier naval de Thonon. Puis 2, puis 3… Au total, ce sont une douzaine de voiles latines qui sortiront des chantiers navals du Léman de 1794 à 1911 pour tremper leur quille aux eaux annéciennes. Jamais plus de 3 en même temps. L’Innocente, la Belle Etoile, la Dame du Lac, la Charbonnière, la Céleste… C’est Espérance 2 qui ferme le bal, à la tuilerie de St-Jorioz, lève la quille et puis s’en va. L’arrivée du chemin de fer entre Albertville et Annecy, longeant le lac en 1901 (ligne aujourd’hui fermée et transformée partiellement en piste cyclable), la concurrence de la route et l’épuisement du minerai seront fatales aux bricks. Dans les années 30, c’est la claque, elles ont disparu du lac.
Fin de l’histoire.

L’ESPÉRANCE, LE RETOUR

Enfin… du tome 1. Et pourquoi ne pas en écrire la suite ? L’idée a germé dans les sillons des vignes de Veyrier, un matin de mars 2016. “Pierre Lachenal m’a fait venir sur ce site pour me présenter son association «Vignes du Lac». Il s’agissait de voir s’il y avait des synergies possibles entre le vignoble et la Fondation du Patrimoine”, raconte Renaud Veyret, délégué de la Fondation pour la Haute-Savoie. “A l’issue de la visite, il me dit, en sortant une vieille carte postale : Et puis mon rêve, un jour, quand je serai vieux et que je ne saurai plus quoi faire, dans 10 ans quoi (il en avait déjà 70 à l’époque !), ce serait de construire une barque à voiles latines, comme autrefois, pour pouvoir transporter le vin des vignes de Veyrier…” Sur la photo jaunie par le temps, la Comète, grande sœur de Espérance 2. Un rêve farfelu ? Irréalisable ? Sans doute.
Quelques semaines plus tard, le représentant de la Fondation réunit un noyau de chefs d’entreprises avec dans l’idée de monter un club de mécènes. Il se rappelle : “Autour de la table : Mobalpa, Salomon et Botanic. « Soutenir le patrimoine, why not… Mais sur quel projet ? », ils me demandent… Bah, à la Fondation, on a pas mal de bâtiments religieux qui auraient bien besoin… « Ah non, on n’en veut pas ! » Je m’y attendais un peu… Alors on a des châteaux, des maisons fortes ? « Oh, c’est vieillot pour communiquer dessus ! » OK. Et la cinémathèque ? « Déjà vu ! » J’arrivais à court d’idée et je leur lance, un peu au bluff, et puis on a un projet de barque à voiles latines sur le lac d’Annecy… « Mais c’est génial ! En plus, c’est un bateau de marchandises, un projet d’entrepreneurs ! On marche ! »” Les 3 patrons sautent sur le ponton à pieds joints et embarquent dans leur sillage une trentaine de membres de l’APM (clubs de chefs d’entreprises autour du management) sous l’impulsion de Serge Delemontex. 100 000 € sont ainsi débloqués, l’aventure peut commencer. L’association Espérance 3 se jette à l’eau avec, à la barre, Pierre Lachenal, son président, et mise sur un budget d’1,5 million d’euros. Le département et la région sortent alors les voiles (400 000 € chacun), le public est mis à contribution au travers d’une grande souscription (220 000 € seront recueillis par la Fondation du Patrimoine). De quoi se mettre au travail, même si le budget est encore incomplet. L’association emprunte, et espère encore convaincre mécènes et donateurs. L’Agglomération annecienne devrait, quant à elle, en ajouter 100 000 d’ici quelques semaines.

A L’ABORDAGE !

Voilà pour les moyens. Le projet ? La reconstitution à l’identique d’un patrimoine disparu, à partir de plans pour le moins sommaires retrouvés de Esperance 2 : même ligne, même gabarit, quant aux couleurs, “on suppose qu’elle était blanche rouge et verte, mais ce n’est pas garanti sur facture, juste une libre interprétation d’une dizaine de photos… en noir et blanc ! C’est la seule piste qu’on a en notre possession. Pour les réclamations, merci de retourner vos greniers, si vous avez des clichés cou- leurs (de 1910 à 1930), on reprend les pinceaux !”, lance en boutade Renaud Veyret, secrétaire général de l’association. D’ici qu’on le prenne au mot… A l’identique sur le rendu, mais pas sur la méthode. “On s’est demandé : si on avait continué à en construire, comment on aurait fait aujourd’hui ? Il s’agit donc d’une réplique, mais avec les technologies et le savoir-faire d’aujourd’hui. On aurait tort de s’en priver. Rien que le lamellé collé devrait lui offrir une durée de vie bien plus longue”, explique Renaud Veyret. “Sur le lac d’Annecy, il n’y a jamais eu de foc, contrairement au Léman et il n’y en aura pas non plus sur Espérance 3. Il y aura en revanche des haubans, qui n’existaient pas, mais que la législation nous impose aujourd’hui, de même pour les garde-corps et les chandeliers ou encore la motorisation qu’on a choisie électrique, alimentée par des batteries (quand sur le Léman, on est au diesel). Construire un bateau à valeur patrimoniale, même identique à l’historique, est plus contraignant qu’une restauration d’un bateau monument historique. Il faut s’adapter aux normes drastiques d’aujourd’hui”, rappelle Philippe Grandchamp, aujourd’hui parrain de l’association. “Il aurait fallu partir d’un morceau de Espérance 2 pour pouvoir prétendre à une rénovation… Or les seules pièces retrouvées sont les mats reconvertis en avant-toit d’une vieille maison de St-Jorioz ! Pas sûr que la propriétaire aurait accepté de défaire sa charpente pour nous permettre de bénéficier de l’ancienne réglementation !!”, sourit-il. Durant près de deux ans, dans les anciennes forges de Cran-Gevrier, 4 charpentiers de marine (voir encadrés) vont ainsi travailler d’arrache-pieds pour faire renaître l’Espérance, rejoints ces dernières semaines par 2 autres et une volée d’artisans (chaudronniers, électriciens, peintres…) sur la dernière ligne droite… Le bateau est maintenant prêt à jeter les amarres du tome 2.

BATEAU SUR L’EAU…

La trame de l’aventure sera patrimoniale, de fait, mais surtout environnementale -il sera l’emblème de la transition écologique, notamment vers une navigation en tout électrique sur le lac- et pédagogique. Mais pas touristique. “Mis à part l’effet carte postale, sa vocation première n’est pas de faire voyager les touristes. Il y aura peut-être quelques sorties publiques, 35 personnes au maximum, mais c’est avant tout un outil de transition écologique. Il accueillera en revanche des missions scientifiques autour des 3 réserves du lac, et surtout des scolaires pour en faire un lieu de pédagogie et de sensibilisation sur la fragilité de l’eau de montagne confrontée aux changements climatiques. De nombreuses animations seront organisées à quai, en lieu et place du Libellule. Pour autant, Espérance 3 jouera de la voile sur tous les grands événements du lac”, assure Jean-Luc Baudin, chargé de la communication au sein de l’association. Espérance 3 quittera les Forges de Cran-Gevrier le 22 juin à 19h pour une traversée périlleuse de la ville : quand on fait 6,70 mètres de large, la circulation devient épique et les ronds-points impossibles à négocier ! Après une mise à l’eau progressive le lendemain aux Marquisats, la barque ira se faire dorer le pont en cale à Sevrier tout l’été (visible du public), pour les dernières finitions, histoire de se faire reluquer la quille au passage… Retour dans le grand bain en septembre pour une inauguration en grande pompe lors des Journées du Patrimoine.
Ohé ohé matelots


VALENTIN, 25 ANS, DE FRANGY – CHARPENTIER DE MARINE

©Frédéric Seux

Si tu étais une partie du bateau ?
Une membrure. Parce que c’est un ensemble, celui des pièces en bois qui forme le squelette du bateau.
Un bois ?
Le chêne, c’est vraiment la matière noble par excellence. Top à travailler.
Un bateau ?
Plutôt un voyageur, pour de grandes traversées. Un bateau pirate, ça m’irait bien !
Ton meilleur souvenir sur ce chantier ?
Quand on a fini de poser la préceinte, le bordage en haut de la coque, on avait ainsi ceinturé le bateau, tout était apparent, on voyait vraiment les volumes se créer. C’était un moment fort.
Le pire ?
Les collages… Il y en a eu beaucoup. On a passé 4 mois à contre-coller… C’est pas l’étape la plus palpitante ! Mais les volumes et les courbures qu’on voulait atteindre l’exigeaient.
Qu’est-ce que tu garderas de ce chantier ?
Beaucoup d’expériences, de confiance en moi et des amis ! C’était vraiment exceptionnel ces 2 années passées ensemble.

PIERRE, 33 ANS, D’AIX-LES-BAINS, CHARPENTIER DE MARINE

©Frédéric Seux

Si tu étais une partie de bateau ?
Une étrave, la partie avant du bateau, celle qui tranche l’eau ! Qui fonce sans se poser de questions.
Un bois ?
Un bois dur. Le chêne me va bien.
Un bateau ?
Un bateau avec de belles formes élancées. Un cotre-pilote ! Ou un cormoran du Finistère. J’ai travaillé dans les chantiers Jezequel, là-bas. Et ils en fabriquaient. Je les trouvais particulièrement élégants, très bien dessinés, parfaitement finis…
Le meilleur souvenir sur ce chantier ?
Avec Valentin, quand on était sur l’étape de bordage. Du printemps à l’automne 2020, on a constitué la «peau» du bateau. Et c’était vraiment un très bon moment.
Qu’est-ce que tu garderas d’Espérance 3 ?
Ç’aura été un chantier ultra formateur sur la durée, et qui nous donne surtout l’envie de continuer dans cette branche-là. Même si c’était dur, et il ne m’a pas dégouté ce chantier, bien au contraire !!! J’ai presque envie d’en faire un autre, là, pour aller plus vite et progresser encore.
Et demain ?
Je vais prendre des vacances, finir mon bateau perso et régater avec les potes du chantier. Etre enfin au contact de l’eau !

CYRIL, 34 ANS, DU NORD, PRÈS DE LILLE, CHARPENTIER DE MARINE

©Frédéric Seux

Si tu étais une partie de bateau ?
Un bordé qui glisse sur l’eau. C’est ces planches qui forment la coque externe du bateau.
Un bois ?
Le chêne, c’est local, agréable à travailler et ça sent bon. Quand je fais du chêne, je suis content.
Un bateau ?
Les bateaux que j’aime particulièrement, ce sont les Smacks, des vieux voiliers de pêche traditionnels des côtes sud de l’Angleterre. Des bateaux assez puissants avec de superbes lignes. Ou je serais un dragueur de fond dans le sens où j’ai une énergie au long cours. Sur des projets de 2 ans, je n’ai pas le sentiment d’arriver essoufflé.
Ton meilleur souvenir sur ce chantier ?
La pose des galbords, le bordage le plus près de la quille, les pièces les plus difficiles à étuver. Un beau travail d’équipe !
Le pire ?
Le ponçage des peintures ou les collages…
Qu’est-ce que tu garderas de ce chantier ?
Une opportunité incroyable. C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de se voir confier un tel chantier. On a hâte de le voir maintenant sur l’eau… Même si ce sera la fin d’une aventure.

AMAURY, 21 ANS, DE VENDÉE, SUR LE CHANTIER DEPUIS JANVIER 2021

©Frédéric Seux

Je suis entièrement novice. Je venais de finir un BTS en gestion et protection de la nature. Et je suis tombé ici un peu par hasard. Mais j’y ai pris goût, et je pourrais bien rester dans ce domaine.
Si tu étais une partie de bateau ?
Je serais la quille !
Un bois ?
De l’if. Un bois magnifique que j’aime travailler.
Un bateau ?
Un vieux voilier avec un gros équipage, qui aurait bien baroudé…
Le meilleur souvenir ici ?
Quand on a fini de poser le pont. La dernière latte. C’était gratifiant.
Le pire ?
Le pire… c’est quand j’ai mis à l’envers tous les petits bouchons en bois sur le pont. Ça m’a pris une demi-journée pour tout recommencer ! C’est le métier qui rentre (rire) !!
Qu’est-ce que tu garderas de ce chantier ?
Quelle expérience ! Et quelle fierté !

CÉLIA, 33 ANS, DE PARIS SUR LE CHANTIER DEPUIS JANVIER 2021

©Frédéric Seux

J’ai aucune expérience dans ce genre de chantier. Depuis 8 ans, je suis plutôt une voyageuse ! J’apprends des métiers sur ma route, en fonction de là où je tombe, Asie, Océanie, Amérique Centrale ou Europe… Mais avec le confinement, je me suis retrouvée bloquée en France, et je suis tombée sur l’annonce de ce chantier qui recherchait même des débutants. Et me voilà !
Si tu étais une partie de bateau ?
Les voiles forcément ! Pour partir au gré du vent.
Un bois ?
Du mélèze. C’est celui que j’ai le plus travaillé ici.
Un bateau ?
Un petit voilier de mer… intimiste.
Le meilleur souvenir du chantier ?
Les phases collectives, où on était tous sur une même tache. Celle du collage du pont par exemple. Cette énergie de groupe, où il faut envoyer, où il y a du rythme, une dynamique et un changement de visuel en 2 jours !
Le pire…
Les bobos…
Qu’est-ce que tu garderas d’Espérance 3 ?
Le savoir-faire, l’apprentissage du bois et cette équipe !
Et demain ?
Me lancer dans une transat cet hiver. Direction les îles !

JÉRÔME, 32 ANS, DE TOURS CHARPENTIER DE MARINE, CHEF D’ÉQUIPE

©Frédéric Seux

Ton dernier fait d’armes ?
Avant de venir ici, j’ai eu la chance de travailler 3 ans aux côtés d’Hubert Stagnol sur un superbe voilier dessiné en 1889 par l’Écossais Watson, avec des élancements vertigineux devant, derrière. Un bateau qui est parti pour Singapour. Ultra kiffant !
Si tu étais une partie de bateau ?
Une vis ! Il n’y a pas de pièces superflues sur un bateau, de même pour une équipe. Le principe même du bateau en bois, c’est que toutes les pièces se soutiennent entre elles.
Un bois ?
J’adore l’acacia. Il permet de très belles réalisations autant en tradi qu’en régate ou en yachting. Et le symbole de l’acacia est super fort, l’éternel espoir, l’immortalité…
Un bateau ?
Une hirondelle de la Manche… Comme le Marie-Fernand (1894). Ces cotres-pilotes connus pour aller chercher la performance, en vitesse surtout. Superbes !
Le meilleur souvenir du chantier ?
Le jour où on a levé la quille, Pierre, Valentin et moi. On devait attendre un camion grue, des membres de l’association, des photographes… Et on était prêt. Et Valentin nous a lancé : “Merde, on le fait pour nous !?” On était assez créatifs pour mettre un bout de bois de 900kg sur 3cales ! Et à 3, on l’a fait. Un moment vraiment intense. Qu’est-ce que tu en garderas ?
Le souvenir d’une équipe fabuleuse. J’ai énormément appris à son contact.
Et demain ?
Vacaaaaances !

Et du côté du Léman…

De cette époque, seuls 2 bateaux ont été sauvegardés. A Lausanne, la Vaudoise, le dernier brick construit en 1932 à Meillerie, navigue aujourd’hui sous les couleurs de la Confrérie des Pirates d’Ouchy. Et à Genève, la Neptune, construite en 1904, a été sauvée de la démolition en 1974.
Ils ont été rejoints par 3 nouvelles voiles latines : à Thonon le 11 juin 2000, par la Savoie, réplique d’une barque construite à Genève en 1896 et démolie en 1945 sur les lieux-mêmes qui verront sa renaissance, puis de l’Aurore, une cochère reconstruite à St-Gingolph et de la Demoiselle à Villeneuve qui sillonnent aujourd’hui les eaux du Léman.

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